A l’issue du comité départemental des risques sanitaires et technologiques (Coderst), le Préfet de Région a livré les premières conclusions de l’enquête sur cette pollution olfactive par mercaptan qui a gêné, perturbé la vie de plusieurs centaines de milliers de Normands et de Franciliens (sans oublier les Britanniques du sud) dès le 21 janvier. Le procureur de la République a évoqué « une élévation anormale de la température dans un des bacs » de l’industriel, fabricant d’additifs pour huiles. « En cause, une conjonction de phénomènes, entre cette élévation de température et un facteur humain avec une manipulation erronée sur le bac », précise t il.
A peine 10 mois après le grave incident survenu sur le réacteur n°2 de la centrale de Penly, une erreur humaine est manifestement à l'origine d'une grave défaillance industrielle.
L'équipe des Echos du Réso Ecolo a demandé au Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs quel était leur point de vue sur les erreurs humaines en leur posant une question provoquante : et si l'erreur humaine était une cause majeure d'insécurité industrielle ?
Voici leur réponse qui donne à voir que dans le nucléaire le problème des erreurs humaines se pose avec insistance !
La littérature produite par l'industrie nucléaire donne à voir un réel souci pour l'organisation du travail dans les centrales [1]. Les facteurs organisationnels et humains (FOH) sont au cœur de la réflexion sur la conduite et la sûreté des installations. L'AIEA comme les autorités de sûreté nationales considèrent que les exploitants des centrales nucléaires doivent s’appuyer sur les personnels - sur leurs capacités d’adaptation, d’interrogation et de réaction face aux situations imprévues - afin d’en faire un maillon essentiel de la sûreté [2]. Néanmoins des doutes demeurent.
En ouverture du rapport sur les facteurs organisationnels et humains et la gestion des
risques publié en septembre 2011, l'IRSN fait état de vives interrogations sur le sujet.
L’importance des fac teurs organisationnels et humains (FOH) dans l’atteinte des objectifs de sûreté liés aux installations nucléaires est unanimement admise par l’ensemble des parties prenantes intervenant lors de la conception, de la construction, de l’exploitation ou du démantèlement de ces installations. Pourtant, au-delà de cette reconnaissance de principe, force est de constater que la prise en compte de ces facteurs est encore perfectible. La technicité requise pour cette intégration est peu connue, voire peu comprise[3].
Mais ce rapport n'apporte aucun éclairage effectif sur les conditions de travail dans les centrales ni même sur les liens entre l'organisation du travail et la sureté. Les auteurs banalisent les métiers du nucléaire refusant de voir qu'il n'est pas anodin de travailler dans une centrale en particuliers pour les équipes de conduite. Le nucléaire possède une singularité énorme à la mesure des risques auxquels cette industrie expose les travailleurs.
La Catastrophe de Fukushima a rappelé l'importance des facteurs organisationnels et humains. En effet le rapport de la commission d’enquête japonaise indépendante sur l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi est accablant. Accablant pour tous les acteurs de la filière nucléaire japonaise et au-delà pour les responsables politiques du pays[4].
Lors d'une conférence de presse tenue le 17 mai 2011, Tepco a ainsi indiqué que le système de refroidissement de secours du réacteur n°1 avait cessé de fonctionner 10 minutes après son démarrage suite de l'arrêt automatique du réacteur provoqué par le séisme. Après ces 10 minutes, il est resté arrêté pendant trois heures. Tepco s'explique pas ce qu'il s'est passé après cette période qui s'est étendue bien au delà du passage du tsunami, survenue environ une heure après le tremblement de terre. A-t-il repris ensuite ? Était-il alors trop tard pour qu'il évite la fusion du cœur ?
L'opérateur ne répond pas à ces questions. Il se borne à indiquer que les ouvriers ont pu arrêter manuellement le système de refroidissement de secours après avoir constaté une baisse de pression dans le cœur, pression qui serait brutalement passée de 70 à 45 bars. Or, un manuel stipulerait que, dans un tel cas, la protection du cœur impose de stopper le système de refroidissement. Les ouvriers auraient donc appliqué à la lettre la consigne. Ce système de secours était conçu pour fonctionner même dans le cas où toutes les sources extérieures de courant sont perdues. Pourtant, les enregistrements montrent qu'il n'a pas fonctionné normalement. Jusqu'à cette révélation, Tepco avait toujours affirmé que le système de refroidissement du
cœur du réacteur n°1 avait bien fonctionné[5]....
Le rapport de la Commission d'enquête sur Fukushima publié en juillet 2012 par la Diète japonaise non seulement confirme ces premières révélations mais généralise les critiques adressées à l'exploitant Tepco. Selon M. Kiyoshi KUROKAWA :
"LE SÉISME ET LE TSUNAMI du 11 mars 2011 sont des catastrophes naturelles dont
l‘ampleur a choqué le monde entier. Quoiqu‘il ait été déclenché par ces cataclysmes, l‘accident de Fukushima Daiichi qui s‘en est suivi ne peut pas être considéré comme une catastrophe naturelle. Ce fut un désastre d’origine spécifiquement humaine ‒ qui aurait pu et aurait dû être prévu et empêché. De plus, ses effets auraient pu être atténués par une réponse plus efficace.
Comment un tel accident a-t-il pu se produire au Japon, une nation qui a une telle préoccupation de sa réputation d’excellence en ingénierie et en technologie ? Cette Commission est d’avis que le peuple japonais ‒ et la communauté mondiale ‒ méritent une réponse complète, honnête et transparente à cette question.
Nos rapports listent une multitude d’erreurs et de négligences délibérées qui ont laissé la centrale de Fukushima démunie devant les événements du 11 mars. Ils examinent également de graves lacunes dans la gestion de l’accident par TEPCO, les régulateurs et le gouvernement.
Malgré tous les détails qu‘il fournit, ce rapport ne peut pas réellement faire comprendre, surtout à une audience internationale, l‘état d‘esprit qui a nourri la négligence à la source de cette catastrophe.
Ce qu‘il faut admettre, aussi douloureux soit-il, c‘est que nous avons à faire à un désastre "made in Japan". Les raisons fondamentales sont à chercher dans le souci des convenances qui fait partie intégrante de la culture japonaise : notre obéissance automatique, notre réticence à remettre en cause l‘autorité, notre attachement au "respect du programme", notre dépendance au groupe et notre insularité[6].
Le constat est sévère et sans appel. Mais erreurs et négligences ne sont pas le propre de l'industrie japonaise. Le nucléaire a toujours été confrontée à des erreurs humaines depuis sa création. Que ce soit lors de la conception ou en situation incidentelle des maladresses ont failli entrainer le pire.
La France n'est pas exempt d'épisodes tragiques de ce genre. Le 17 octobre 1969, une mauvaise manipulation lors du chargement du cœur sur le réacteur n°1 entraîne la fusion de 50 kilos d'uranium. C'est l'un des plus graves accidents nucléaires jamais survenus en France[7]. Pourtant, quarante-deux ans plus tard, l'événement reste quasi inconnu du grand public. Comme si le sort s'acharnait sur la centrale de Saint-Laurent, onze ans plus tard, le 13 mars 1980, à 17 h 40, les alarmes se déclenchent. Une nouvelle fusion se produit, cette fois sur le réacteur n°2. Un morceau de taule vient d'obstruer une partie du circuit de refroidissement. La température fait un bond, ce qui provoque la fusion de plus de 20 kilos d'uranium et entraîne l'arrêt d'urgence du réacteur[8].
D'autres accidents aussi graves ont été évités de justesse. Le 15 avril 1984, la défaillance de l'alimentation d'une des deux voies redondantes du système de contrôle commande du réacteur n°5 du Bugey a entraîné l'arrêt d'urgence du réacteur[9]. Le 12 mai 1998, un des réacteurs de la centrale de Civaux (Vienne) a perdu son réfrigérant suite à une rupture de canalisation. Lors de la tempête de décembre 1999, le réacteur de la centrale nucléaire de Blaye (Gironde) a dû être arrêté d'urgence près que tous les systèmes de sécurité aient été inondés : les digues de protection n'avaient pas résisté à la force des vents. Lors de la canicule de 2003, c'est la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) qui avait pris chaud. Elle a dû être arrêtée en urgence. En 2006, de nouveau à Civaux, un opérateur a posé un livret sur un clavier de commande, entraînant un dépassement de la puissance thermique autorisée. L'Autorité de Sûreté Nucléaire reconnaît que plusieurs centaines d'écarts de niveau 0 et une centaine d'anomalies de niveau 1 ont lieu chaque année.
Le plus inquiétant est que les défaillances ont tendance à se multiplier. Le 05 avril 2012, le réacteur n°2 de la centrale de Penly connait un incident grave qui entraine un arrêt de la tranche pendant 4 mois. Le 5 septembre 2012 à 15h00, lors d’une manutention d’eau oxygénée dans la partie nucléaire du réacteur n°2 de Fessenheim, un déversement du produit a provoqué un dégagement de fumée conduisant à l’intervention des secours EDF et des pompiers. Le personnel a évacué le bâtiment concerné par l’évènement. Le 9 novembre 2012, alors que le réacteur n°2 de la centrale du Blayais était en production à pleine puissance, l’exploitant a constaté qu’un groupe de grappes de commande du réacteur était trop inséré[10]. Le 16 novembre 2012, le réacteur n° 3 de Paluel s’est arrêté automatiquement après l’atteinte du seuil de très bas niveau d’eau secondaire dans le générateur de vapeur (GV) n° 1, consécutif à la perte partielle du circuit d’alimentation en eau alimentaire (ARE). Le 18 décembre 2012, alors que le réacteur n° 2 de Chinon était en cours de déchargement du combustible, l’exploitant a détecté qu’une vanne d’isolement de l’enceinte de confinement, normalement fermée durant les opérations de manutention de combustible, était ouverte.
Ces incidents ou accidents, souvent sous-évalués, parfois évités de justesse, amènent à s'interroger sur la possibilité de garantir durablement la sureté nécessaire des installations. Ni le circuit de production de l'énergie nucléaire, ni l'organisation de la sécurité des installations ne sont rassurants. Les installations sont en permanence exposées à des défaillances des équipements mais aussi à des erreurs humaines. Le plus inquiétant est que ces dernières sont de plus en plus fréquentes.
Le rapport 2009 de l'IRSN sur la sureté du parc électronucléaire français établit que le
facteur humain est de loin le premier responsable des incidents recensés dans les centrales nucléaires françaises, en constante augmentation[11]. « L’année 2009 a montré à nouveau, malgré les efforts de prévention réalisés, une très forte répondérance du facteur humain (85%) à l’origine des incidents significatifs, la plupart sans conséquences notables », constate Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Pour expliquer ces erreurs humaines croissantes, l’IRSN cite notamment la complexification des procédures mais aussi « la recherche de productivité » qui « conduit à de fortes tensions sur les activités pendant les arrêts de réacteurs ». Les statistiques réalisées sont éloquentes: les événements significatifs pour la sureté (ESS) pendant les arrêts représentent à eux seuls 45% du total recensé en 2009, alors qu’un réacteur est en arrêt pour rechargement en moyenne environ 10% de l’année. Une tendance similaire pour les opérations de maintenance, qui ont représenté en 2009 près de 30% des ESS survenus sur le parc nucléaire français et qui sont « essentiellement d’origine humaine ou organisationnelle », souligne l’IRSN. Au total, 95 des EES ont été classés au niveau 1 de l’échelle internationale INES (7 niveaux au total), contre 72 en 2008 et 55 en 2007.
Le rapport de l'ASN 2011 sur l'état de la sureté nucléaire montre que des progrès de la part de l'exploitant peuvent encore être réalisés. Les postes de consultant "facteurs humains" ne sont pas pourvus dans toutes les centrales. Les moyens dont ils disposent dans les autres sont insuffisants. Même si des efforts importants ont été développés par EDF, l'ASN considère qu'ils doivent être poursuivis... Et le constat est une fois encore accablant :
" L'ASN relève encore en 2011, sur plusieurs CNPE, de nombreuses insuffisances qui concernent des documents opérationnels et les interfaces hommes-machines. L'ASN a, ainsi, pu constater des matériels mal adaptés aux taches à effectuer, des locaux exigus, des documents inappropriés, incomplets ou peu accessibles, des défauts de repérage, des indications difficiles à lire, qui ont pu conduire à des événements significatifs[12]."
Et le réquisitoire se poursuit en mettant en cause des défauts liés à l'ergonomie des postes de travail, les conditions de travail des intervenants, etc.
Le rapport 2010 de l'IRSN sur la sureté du parc électronucléaire français même s'il essaie d'esquiver le problème des facteurs organisationnels et humains prouve que la situation se dégrade nettement dans les centrales[13].
Maitrise des opérations relatives à la maintenance et aux modifications matérielles
Malgré les différents plans déployés par EDF à l'échelle du parc pour améliorer la maitrise des opérations relatives à la maintenance et aux modifications matérielles, le nombre d'événements significatifs liés à ces activités est élevé depuis trois ans (environ 180 ESS par an). Près de la moitié de ces ESS impliquent directement les agents EDF[14].
L'IRSN constate qu'une part importante des ESS survenus en 2010 est la conséquence de défauts de préparation des interventions. L'institut confirme ainsi les critiques de l'ASN sur le plan performance humaine mis en œuvre par EDF depuis 2007. « Nous pointons une augmentation du nombre d'incidents lié à des activités de maintenance, mais nous ne l'attribuons pas aux sous-traitants », précise Pascal Quentin, l'adjoint au directeur de la sûreté des réacteurs à l'IRSN[15]. « Nous considérons qu'en 2009, EDF a eu des problèmes liés à la maintenance. Nous le traduisons comme un manque d'anticipation », affirme Guillaume Wack, le responsable de la direction des centrales nucléaires à l'ASN...
Les conséquences d'une telle dérive sont évidentes. L'IRSN a recensé 399 non-conformités aux spécifications techniques d'exploitation (NC-STE) pour l'année 2010. Le nombre d'événements de ce type est en forte hausse depuis plusieurs années (354 en 2008, 365 en 2009). l'augmentation continue du nombre de NC-STE depuis 2004 est proportionnellement plus importante que celle des ESS (63% en 2010 contre 39% en 2004). Le détail de ces manquements aux règles les plus élémentaires de sureté établis par l'IRSN est édifiant : défaut des dispositifs de confinement, indisponibilité des systèmes de ventilation, défaillance des instruments de régulation de la puissance neutronique, etc. Et dans bien des cas ces ESS se produisent parce que les STE sont tout simplement ignorées (77 en 2010 contre 58 en 2009).
Comment s'étonner dès lors de l'épisode risible qui a eu lieu le 30 novembre 2011 à la centrale de Paluel[16] ? A lire le récit rapporté par le quotidien régional Paris-Normandie l'exercice qui a eu lieu cette nuit là dans la centrale de Paluel donne à voir les défaillances de l'industrie nucléaire. Documentation foisonnante et parfois erronée, clef du tableau électrique indisponible car en commande : la visite inopinée de parlementaires pour un exercice d'urgence a donné lieu à des "situations parfois burlesques"[17]. Il a fallu plusieurs heures aux agents d'astreinte pour réaliser la procédure. Les déconvenues se sont enchaînées. C’est ensuite un problème d’"indications du document de procédure" qui ont ralenti leur action...
Le rapport de l'ASN sur les évaluations complémentaires de sureté (ECS) n'ignore pas l'enjeu des facteurs organisationnels et humains, mais l'aborde de manière spécifique en traitant des "conditions de recours aux entreprises prestataires"[18]. Néanmoins la présentation des ECS devant l'ANCCLI le 20 janvier 2012, rappelle que :
L'ASN retient les priorités suivantes :
Le renouvellement des effectifs et des compétences des exploitants, alors que s'engagent simultanément une relève importante des générations et des travaux considérables à la suite des ECS ;
L'organisation du recours à la sous-traitance. la surveillance des sous-traitants doit être renforcée ;
L'ASN se propose de mettre en place un groupe de travail sur ces sujets.[19]
La conclusion du rapport sur les ECS concernant les FOH éclaire cette position. " L'ASN considère que des dispositions complémentaires doivent être prises en matière de gestion des situations d'urgence et de formation du personnel impliqué." Le jugement de l'ASN est sans appel et résonne comme une injonction adressé à l'exploitant nucléaire. " L'accident de Fukushima a montré que la capacité de l'exploitant et le cas échéant de ses prestataires à s'organiser pour travailler en condition d'accident grave est un élément essentiel de la prévention de tels accidents.[20]"
L'Arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base traduit dans le champ juridique et réglementaire les préconisations de l'ASN et de l'IRSN[21]. Parmi les dispositions nouvelles prévues par cet arrêté, on peut citer la surveillance des intervenants extérieurs par les exploitants nucléaires, l'extension des principes de qualité à l'ensemble des activités concourant à la protection des intérêts visés par la loi, la prise en compte de cumuls de situations pour démontrer de sûreté nucléaire, l'application aux installations nucléaires de base de certains textes réglementaires relatifs aux installations classées pour la protection de l'environnement.
Le chapitre IV de cet arrêté aborde spécifiquement l'enjeu des facteurs organisationnels et humains en obligeant l'exploitant à mettre en œuvre un "système de management intégré".
Article 2.4.1
I. ― L'exploitant définit et met en œuvre un système de management intégré qui permet d'assurer que les exigences relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L.593-1 du code de l'environnement sont systématiquement prises en compte dans toute décision concernant l'installation. Ce système a notamment pour objectif le respect des exigences des lois et règlements, du décret d'autorisation et des prescriptions et décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire ainsi que de la conformité à la politique mentionnée à l'article 2.3.1.
Cet arrêté inscrit dans le droit français un certain nombre des « niveaux de référence » établis par l’association WENRA qui regroupe les autorités de sûreté nucléaires européennes[22]. Ces « niveaux de référence », tiennent compte des normes les plus récentes de l'AIEA et des approches les plus exigeantes pratiquées dans les Etats concernés[23]. Ils représentent une base commune pour l’harmonisation des pratiques internationales. L’arrêté du 7 février 2012 apporte également des éléments de réponse à des problématiques soulevées par l’accident de Fukushima[24]. Des exigences en matière de préparation et de gestion des situations d’urgence sont introduites dans la réglementation, et la surveillance des intervenants extérieurs est renforcée : l’arrêté impose en effet que la surveillance des interventions importantes pour la sûreté soit exercée directement par l’exploitant[25]. Cet arrêté souligne en outre les exigences relatives au traitement des non-conformités, notamment pour ce qui concerne l’impact cumulé des différents écarts et l’analyse de leur répétition.
On ne peut cependant que s'étonner des délais accordés par l'Etat pour mettre en œuvre ces nouvelles dispositions. Le texte prévoit une entrée en vigueur seulement le 1er juillet 2013, à l'exception de deux dispositions qui entrent en vigueur le 1er juillet 2012 ; toutefois, pour les installations existantes, certaines dispositions s'appliquent à partir du 1er janvier 2014, du 1er juillet 2014, ou du premier réexamen de sûreté ou de la première modification notable de l'installation postérieur(e) au 1er juillet 2015...
Serait ce qu'EDF n'est pas en mesure de se conformer dès aujourd'hui à une réglementation internationale qui perpétue pourtant le statut d'exception dont bénéficie l'industrie nucléaire ? L'événement survenu le 05 avril 2012 à Penly donne à voir la gène de l'exploitant quand survient une erreur humaine. La communication d'EDF depuis l'incident sur le réacteur n°2 semble déterminé par le souci d'éviter toute mise en cause des opérations de maintenance et, plus encore, de l'erreur commise par le jeune agent la veille.
Lors de la présentation par EDF de l'incident devant le HCTISN, le 21 juin 2012, il n'est pas question explicitement d'erreur humaine :
" Le 04 avril 2012, à 3 h 41, la pompe a haute pression sur le circuit de graissage de la pompe primaire n°1, normalement à l'arrêt, s'est mise en service de manière intempestive. Le 5 avril, une alarme est apparue en salle de commande sur le niveau anormal de a réserve d'huile, suivie d'alarmes incendie dans le local de la pompe primaire n°1 vers 12 heures et d'une alarme de température vers 12 h 06. La pompe primaire n°1 s'est arrêtée pour assurer sa préservation suite à une température élevée de son palier. L'arrêt de cette pompe primaire a conduit à l'arrêt automatique du réacteur. Parallèlement, le joint 1 s'est isolé automatiquement sur critère de débit élevé [une fuite].
Mais au même moment des diapositives sont projetées[26]. Si Jean-Philippe Bainier traite en une phrase un événement survenu le 04 avril, une diapositive
complète, la n°9, présente en détail l'épisode.
Le texte est clair. Dès le 21 juin, EDF est contraint de reconnaître qu'il y a bien eu "erreur humaine" à Penly. La présentation des actions de l'ASN par Thomas Houdré[27] confirme cette thèse sans le dire. Sur sept visites menées par la division de Caen, quatre concernent les facteurs organisationnels et humains[28]. L'inspection du travail en tant que telle a mobilisé à trois reprises les équipes de l'ASN. Les demandes de l'ASN sont explicites : Thomas Houdré considère que cet événement implique "une mise à niveau de certaines règles de conduites incidentelles", " une réévaluation des consignes incidentelles utilisées" par l'IRSN. ces recommandations sont suffisamment rares pour être rappelées.
Le représentant de la CFDT n'est pas dupe. Gilles Compagnat intervient pour demander des précisions sur le 04 avril :
" M. Compagnat souhaite par ailleurs des précisions sur l'intervention sur la cellule du ventilateur et croit savoir que la pompe de surpression d'huile n'a pu démarrer que sur intervention directe sur la cellule électrique. Si elle a démarré sur un ordre manuel, il faut le savoir rapidement. Par ailleurs il note que le journal de nord a donné une information à la salle de commande mais qu'entre 3 heures 40 et 11 heures 52 le 5 avril, il s'est écoulé 32 heures sans que personne ne réalise que la pompe du circuit de graissage fonctionnait. Enfin il demande que les lettres des réponses d'EDF aux lettres de suite de l'ASN soient rendues publiques.[29]"
Le syndicaliste met en évidence ce qui depuis est apparu comme la cause final de l'incident[30], à savoir l'activation intempestive à 03 h 41 du matin le 04 avril de la pompe 2RCP111PO, pompe du circuit de graissage de la motopompe primaire (GMPP).
Jean-Philippe Bainier est contraint de répondre :
" L'intervenant n'a pas le souvenir d'avoir commis une erreur. Cette hypothèse reste considérée comme plausible tout en étant complétée par des investigations techniques pour vérifier que la boite à boutons ne génère pas d'actions sur d'autres cellules."
Christophe Quintin abonde dans ce sens mais apporte un complément d'information non négligeable. Si effectivement une erreur humaine a été commise le 04 avril d'autres événements de nature organisationnelle et humaine sont à déplorer. Comment se fait il que les délais entre la mise en service intempestive de la pompe de graissage et le déclenchement de l'alarme ont été si long ? quels sont les liens de causalité entre cette activation intempestive et la défaillance du joint (dont la bride était manifestement mal serrée selon la diapositive n°8) ? Les faits sont suffisamment graves pour que Pierre Barbey demande "si EDF ne considère pas qu'il y ait un potentiel d'erreur générique" dans cette manœuvre exécuté en pleine nuit par un "intervenant". Et Gilles Compagnat porte l'estocade à EDF : " l'intervention de prestataires dans la gestion de cet incident tend à démontrer que l'exploitant ne maîtrise pas tout son matériel s'il doit faire appel à un sous-traitant pour un tel événement." Les débats dans le cadre du HCTISN s'arrêtent là. Mais une chose est sûre désormais : à toutes les étapes de l'incident du 05 avril, des suspicions d'erreur humaine sont suffisamment importantes pour mettre en cause l'organisation du travail dans cette centrale.
On comprend mieux dès lors l'insistance d'EDF pour démentir la thèse de l'erreur humaine. Lors de la réunion publique de la commission locale d'information auprès des centrales de Paluel et de Penly (CLIN) qui s'est tenue le 19 décembre 2012, Alban Verbecke déclare :
"Pourquoi a t on eu cette fuite d'huile à cet endroit là... c'est lié à un moment donné à une opération de maintenance que l'on devait faire sur un ventilateur. un technicien d'exploitation a consigné un ventilateur et lorsqu'il a fait cette intervention, il l'a bien arrêté par contre en même temps il a aussi arrêté... il a mis en marche une pompe de graissage sur ce circuit. Et ceci dit, ca c'est pas
suffisant, c'est à dire qu' il y a eu à un moment donné un démarrage sur la pompe de graissage. C'est comme si sur votre voiture à un moment donné la climatisation se met en service pour autant vous n'avez pas une fuite sur la climatisation.
Là il y a eu mise en service de cette pompe sur ce circuit et au bout de quelques heures il y a eu une fuite. On a eu une fuite au niveau de ce raccord parce qu'il y a eu un joint mal positionné et mal serré. Ce qui est important de comprendre c'est qu'il y a eu effectivement une fuite. L'huile a ruisselé le long de l'arbre de la pompe primaire et quand elle a ruisselé, elle est entrée en contact avec la température de la boucle qui est aux alentours de 300°C. Donc ce ne prend pas feu, ca fait un peu de friture. Et comme l'huile est confiné au niveau du calorifuge, à un moment donné, on a donc eu deux départs de feu de l'ordre de 30 à 40 cm sur à peu près 30 cm de haut. Le feu a été éteint avec trois extincteurs classiques, vous avez les mêmes à la maison et bien sur forcément il n'y a pas eu de grandes bouffées de fumée à l'extérieur. Sur un bâtiment de 80 000 m²...[31]
Nous avons donc affaire non pas à une erreur humaine mais à une série d'événements où des erreurs humaines interviennent à des degrés divers. Comme le reconnaît l'IRSN dans le rapport DSR n°466 [32], " le travail consistant à déterminer et à évaluer quantitativement la contribution des FOH dans la survenue des événements est malaisé, car il dépend directement de la profondeur de l'analyse de ces événements." Pour autant en ce qui concerne les 04 et 05 avril 2012 à Penly, les faits sont têtus. Un jeune agent peu expérimenté a commis une erreur ou, tout du moins, a réalisé un geste dont les conséquences ont entrainé une défaillance majeure d'un réacteur nucléaire, une perte de réfrigérant primaire et un arrêt de quatre mois. Ce geste a été d'autant plus fatal qu'il a révélé un défaut de maintenance sur un joint d'un circuit de graissage sensible pour la sureté puisque l'arrêt de la GMPP provoque un arrêt automatique du réacteur. Nous sommes bel et bien en présence d'un événement qui révèle qu'une défaillance matérielle trouve son origine dans des défaillances des FOH antérieures aux événements eux mêmes.
Le 19 décembre 2012, Alban Verbecke, directeur de la centrale de Penly, est contraint de reconnaître les faits. " Très clairement ce n'est pas un sujet conflictuel, c'est factuel, répond il à Alain Corréa." Mais c'est le représentant associatif qui précise devant une auditoire stupéfié que l'activation de la pompe a été commise très tard dans la nuit par un technicien peu expérimenté sur une boite à bouton "mal conçue". De surcroit le jeune agent a du faire des allez-et-retours pour aller chercher du matériel. Alban Verbecke acquiesce et prend la défense de son collaborateur :
" Quelqu'un qui est moins expérimenté peut avoir une confusion pourquoi ? Parce que dans les centrales nucléaires quand on appuie sur le rouge, et contrairement à ce que l'on voit dans la sécurité routière où rouge c'est l'arrêt. Alors que nous c'est inversé ! Pourquoi ? Parce que nous quand c'est rouge c'est passant parce que c'est là que c'est dangereux. D'où la confusion du jeune exploitant..."
Que dire devant un tel tableau ? Alban Verbecke donne à voir l'absurdité profonde de l'industrie nucléaire. Quand une industrie met en œuvre des commandes conçues à rebours du sens commun comment ne pas reconnaître que les déficiences de l'organisation du travail dans les centrales ? Comment ne pas douter de la capacité d'EDF aujourd'hui à garantir la sureté nucléaire que chacun est en droit d'exiger ?
L'erreur du jeune agent est à la mesure du caractère inhumain d'un réacteur nucléaire Ici tout est démesure et absurde. Face aux innombrables risques dispositifs et procédures constituent un magma où il est bien difficile de s'y retrouver. Tout est fait pour brider l'homme et le soumettre aux caprices d'une machine dont la puissance est au delà du concevable. La moindre maladresse peut entrainer une suite d'effets que nul ne peut prévoir et des conséquences lourdes. La menace d'accident est ainsi quotidienne dans les centrales. Et l'on doit imaginer la peur qui règne dans les équipes de commande. Les uns contrôlent ce que les autres font avec cette appréhension constante que l'improbable survienne.
La plupart du temps, et heureusement, les erreurs sont rattrapés. Le bricolage s'impose dès lors comme mode de gestion de la technologie. Faute de totalement contrôler la machine, les hommes la bricole. C'est une manière de se l'approprier voire même de conjurer le sort. Mais tôt ou tard, au moment où on se l'attend le moins, la machine reprend ses droits. L'improbable survient et laisse augurer le pire.
Le 05 avril 2012 à Penly, force est de reconnaître que l'on a évité le pire de peu. Malgré la succession de défaillance en cascade, la situation a été maitrisée. Les systèmes de sauvegarde ont joué leur rôle. Le cœur a été tant bien que mal refroidi. L'intégrité de l'installation n'a pas été totalement atteinte et les rejets dans l'environnement modestes.
Pour autant tout ce qui s'est passé déroge nettement à toutes les règles générales d'exploitation et aux procédures prévues en situation incidentelle. La conduite du réacteur défaillant s'est faite dans l'improvisation la plus totale les techniciens s'efforçant à chaque instant de compenser les effets des incidents successifs. Si la fortune n'a pas souri le 04 avril, elle a été favorable le 05 et permis que le pire ne survienne Les hommes du nucléaire ont su nous protéger de l'emballement de la machine qu'ils sont bien en peine de contrôler. Si on avait du compter sur les seuls automatismes, personne ne sait où nous en serions aujourd'hui. Si du bore n'avait pas été injecté en masse, personne ne sait si la fission aurait pu être freinée assez rapidement et limiter l'accident de perte de réfrigérant primaire au niveau de la pompe primaire. Si la solidarité n'avait pas joué pleinement entre les équipes du réacteur 1 et du réacteur 2, d'aucuns peuvent imaginer ce qui ce serait passé...
Somme toute le problème qui se pose est de savoir pendant combien de temps encore, des équipes pourront elles maîtriser ces machines de mort que sont les réacteurs. Le nucléaire a été une aventure folle d'une génération éprise de technologie. Aujourd'hui, les anciens sont de moins en moins nombreux dans les centrales et l'on est en droit de douter que les plus jeunes sachent que faire face aux risques, face à l'improbable.
D'où l'insistance de la nucléocratie pour améliorer les facteurs organisationnels et humains (FOH). Alors que des systèmes automatisés ont été installés un peu partout et que les savoir-faire s'érodent à mesure des départs en retraite, l'industrie nucléaire invente des dipositifs de plus en plus complexes pour tenter de garantir le meilleur niveau de sureté. De nouvelles exigences sont imposées pour assurer la qualité des opérations de maintenance. Les équipes de conduites sont soumises à une inflation de procédures sensées éviter les erreurs humaines. Et au final chacun perd son autonomie et ses capacités individuelles à faire face à l'imprévu.
Le management nucléaire tend à faire de chaque agent une machine opérant sur une machine.
Il faut voir l'ultime faillite d'une industrie qui a promise une énergie inépuisable et gratuite. Si la catastrophe a été jusque là éviter en France, le nucléaire n'a aucunement tenu ses promesses. Loin de là. L'électricité nucléaire est épuisable puisque chacun reconnaît que les réacteurs vieillissent, s'usent et sont promis à une fermeture inéluctable. L'électricité nucléaire est chère et même de plus en plus chère pour faire face aux effets de ce vieillissement des installations. Une seule chose est pour ainsi dire garantie par le nucléaire, c'est la masse de déchets de très haute intensité qu'il laisse. Voilà bien son seule héritage.
Si ce n'est quelques fanatiques cette industrie a usé les hommes qui l'ont servi avec une abnégation qui impose le respect. Aujourd'hui bien rares sont les vocations dans le nucléaire. Les salaires et le prestige de la fonction attirent les nouveaux venus. On est bien loin de l'époque héroïque où travailler dans le nucléaire était une aventure, où chacun était sollicité pour participer à l'œuvre commune.
On est en droit de douter dès lors que la sureté nucléaire soit encore garantie pour longtemps quelques soient les efforts techniques d'EDF et la vigilance de l'ASN. Ce qui fait défaut et le fera de plus en plus ce sont des hommes et des femmes capables d'éviter la catastrophe. Ainsi à mesure que les années passent les défaillances se multiplient, la disponibilité des réacteurs s'effondrent... et l'on est chaque jour un peu plus proche de la catastrophe[33].
André-Claude Lacoste après Fukushima n'a pas dit autre chose. Le problème du nucléaire n'est pas tant sa sensibilité aux agressions extérieures que la fragilité intrinsèque de cette technologie. Il est illusoire de penser que des dispositions aussi sérieuses puissent elles être pourront éviter le drame. On ne peut plus avoir confiance dans des machines où des fuites peuvent avoir lieu pendant 32 heures suite à une erreur de manipulation d'un novice !
[2] http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Dossiers/La-surete-des-centrales-nucleaires/Comment-ameliorer-la-surete/Les-facteurs-organisationnels-et-humains
[3] http://www.irsn.fr/FR/expertise/rapports_expertise/surete/Pages/Facteurs-Organisationnels-Humains-gestion-des-risques.aspx
[4] http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/crise-nucleaire-au-japon/20120706.OBS6394/fukushima-une-catastrophe-d-origine-humaine.html
[5] http://www.franceculture.fr/blog-en-quete-de-science-2011-05-18-fukushima-premiere-evocation-d-une-erreur-humaine-par-tepco.html
[11] http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Communiques_et_dossiers_de_presse/Pages/20110104_rapport-irsn-surete-parc-electronucleaire-2009.aspx
[12] http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Publications/Rapport-annuel-de-l-ASN/La-surete-nucleaire-et-la-radioprotection-en-France-en-2011,
p 367.
[13] http://www.irsn.fr/FR/expertise/rapports_expertise/Documents/surete/IRSN_rapport_surete_du_parc_2010.pdf
[14] ibidem, p 11.
[17] http://www.paris-normandie.fr/article/societe/la-centrale-nucleaire-de-paluel-controlee-par-surprise-en-pleine-nuit
[18] http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2012/Rapport-de-l-ASN-sur-les-evaluations-complementaires-de-surete-ECS
[20] http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2012/Rapport-de-l-ASN-sur-les-evaluations-complementaires-de-surete-ECS, p 226.
[21] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025338573&dateTexte=&categorieLien=id
[22] http://www.asn.fr/index.php/Les-actions-de-l-ASN/La-reglementation/Bulletin-Officiel-de-l-ASN/Avis-de-l-ASN/Avis-n-2012-AV-0141-de-l-ASN-du-24-janvier-2012
[23] http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2012/Arrete-relatif-a-la-reglementation-technique-generale-applicable-aux-INB
[27] directeur de la DCN et ancien responsable de l'agence de Caen qui connait très bien la centrale de Penly.
[30] http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/280113/erreur-humaine-la-centrale-de-penly
[32] Point de vue de l'IRSN sur la sureté et la radioprotection du parc électronucléaire français en 2010, op cit, p 9.
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