Début novembre, RTE, filiale d'EDF chargée d'acheminer l'électricité sur le réseau national, s'est montré rassurant sur les éventuels risques de pénurie cet hiver. La situation d'ensemble est «satisfaisante», a estimé Dominique Maillard, au regard des différentes prévisions de consommation pour l'hiver 2012-2013. «Les conditions sont globalement dans le même registre que l'hiver dernier, avec une demande stable et une disponibilité des moyens de production plutôt meilleure que l'an dernier, et sans doute un moindre recours aux importations», de courant, a-t-il résumé. Dans des conditions normales, RTE table sur un pic de consommation de 84.500 mégawatts (MW) courant janvier[1], un peu plus que ce qui aurait été enregistré durant l'hiver dernier à climat similaire.
Pour autant cette abondance d'électricité ne garantit aucunement les Français d'une hausse inéluctable du prix de l'énergie. La contribution sociale pour le service publique de l'électricité (CSPE), taxe sur les factures d'électricité nécessitera de lever 5,1 milliards d'euros en 2013, soit 19% de plus qu'en 2012, selon un chiffrage annoncé fin novembre 2012 par le régulateur de l'énergie (CRE). En incluant un rattrapage pour 2011 et les années précédentes (2,1 milliards), le besoin de financement de la CSPE l'an prochain grimpe même à 7,2 milliards, précise la Commission de Régulation de l'Energie[2].
Selon une estimation de la Cour des Comptes publiée en juillet, la CSPE devrait dépasser sensiblement les 20 euros le mégawatheure en 2020, soit plus du double du niveau actuel. Le tarif réglementé standard est actuellement hors abonnement d'environ 125 euros du MWh. Une forte hausse de l'électricité est attendue dans les années qui viennent pour prendre en compte les énergies renouvelables encore plus chères, mais aussi les importants investissements nécessaires dans le réseau électrique et les centrales nucléaires existantes.
Chacun est en droit de s'interroger sur les raisons de cette hausse vertigineuse que le gouvernement essaie vainement de limiter[3]. D'aucuns dénoncent le développement des énergies renouvelables et les fameux tarifs d'achat pour expliquer cette inflation des coûts de l'énergie. La manœuvre est habile mais occulte la réalité du problème.
Les énergies naturelles et renouvelables ne sont pas suffisamment abondantes en France[4] pour entrainer une telle augmentation des coûts. La dérive globale de la facture d'électricité est due comme l'a parfaitement établie le rapport parlementaire sur le coût réel de l'électricité à la hausse inéluctable du coût du KWh nucléaire français[5].
Il ressort des évaluations des sénateurs que les coûts de l'électricité nucléaire française sont encore sous-évalués : en incluant les travaux de maintenance post-Fukushima, la commission les évalue à 54,2 euros par mégawatheure. C'est plus que l'évaluation du rapport de référence publié par la Cour des comptes au début de l'année (49,5 €) et plus que le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), c'est-à-dire le prix officiel du courant nucléaire, qui est de 42 € depuis le 1er janvier 2012. Les centrales du littoral haut-normand ne sont pas épargnées par cette dérive des coûts d'exploitation. De l'aveu même du directeur de Penly, le coût du KWh des deux réacteurs de la région dieppoise dépasse aujourd'hui les 42 € pour atteindre environ 45 €. Coût particulièrement élevé si l'on considère que Penly 1 & 2 sont presque totalement amortis.
Une électricité cher et peu disponible
Concrètement cela signifie que l'électricité nucléaire française n'est plus compétitive quoi qu'en pensent les partisans de l'atome. Ainsi en novembre, la France a largement plus importé d’électricité d’Allemagne qu’elle n’en a exporté. Son solde déficitaire s’établit à 870 GWh, soit presque l’équivalent de ce que peut produire un réacteur de la centrale de Fessenheim, révèle l’aperçu sur l’énergie électrique de RTE[6].
Non seulement la France importe de l'électricité produite Outre-Rhin mais cette électricité est pour l'essentiel d'origine renouvelable. Ces énergies renouvelables, essentiellement photovoltaïques et éoliennes, atteignent désormais des prix extrêmement compétitifs. En fonction du niveau d’ensoleillement et de la force du vent, certains jours, à certaines heures, elles sont moins chères que l’électricité nucléaire française.
En Allemagne, La baisse des coûts du marché de l'électricité due à l'éolien est réelle, elle dépasse même la subvention que les compagnies régionales doivent donner à l'éolien[7]. Ce phénomène est accentué par le mode de gestion du réseau d'électricité qui prévaut là-bas. Les éoliennes ont non seulement une priorité "légale" en Allemagne mais une priorité politique puisque la République fédérale tient absolument à respecter ses engagements au titre de la directive "renouvelables", c'est à dire à maximiser les ENR[8].
Plus besoin donc d'avoir recours aux excédents français d'électricité nucléaire. D'autant plus que lorsque l'éolien fait preuve de quelques faiblesses il est beaucoup plus simple de solliciter des centrales thermiques que de faire appel au marché européen de l'électricité où le prix du KWh atteint fréquemment des sommets. Les algorithmes de gestion du réseau montrent qu'il vaut mieux conserver des centrales à gaz à leur minimum de fonctionnement plutôt que de les arrêter complètement. Il s'agit non seulement de conserver une puissance disponible en réserve instantanée, mais aussi pour des raisons d'optimum de coût qui demande une combinaison de centrales, et pas seulement -comme en France- une majorité de centrales de base. Pour les réseaux de nos voisins, il est donc moins cher de produire en centrale à gaz que d'importer.
Somme toute cette nouvelle donne énergétique sur un continent où tous les réseaux de distribution sont étroitement connectés change considérablement la donne. La France désormais intégrée à ce réseau de distribution européen de l'électricité _ au moins pour l'électricité marginale et sur une grande partie de l'année _ ne dispose plus d'aucune rente de situation. La vision "colbertiste" d'exportation du courant qui nous rapporterait quoi qu'il arrive est devenue caduque.
Le fonctionnement du marché de l'électricité est ainsi en voie de tuer le nucléaire français. En effet le marché européen de l’électricité est régi par le principe du « merit order », autrement dit de la préséance économique, qui consiste à faire appel aux unités de production en fonction de leurs coûts marginaux croissants. Concrètement,
quand une demande d’achat est envoyée sur le marché, les premières unités de production appelées sont celles qui fabriquent de l’électricité dite «fatale », c’est-à-dire perdue si elle n’est pas utilisée à un instant donné. Il s’agit de l’énergie d’origine hydraulique au fil de l’eau, éolienne et solaire, qui passe devant le nucléaire, lui-même précédant les centrales à charbon, gaz et fioul.
« Le parc installé photovoltaïque allemand a progressé de 7,5 GW l’année dernière, décrit Hervé Mignon, c’est une dynamique importante. Si bien que, les jours de fort ensoleillement, quand l’ensemble de la production photovoltaïque est injecté sur le réseau, la quantité d’électricité produite outre-Rhin est largement supérieure aux besoins locaux. Elle est alors mise sur le marché européen à des prix très attractifs[9]. »
Ce qui apparaît clairement dès lors c'est la surcapacité considérable du parc nucléaire française
Non seulement les réacteurs de l'hexagone produise une électricité chère à la lumière des nouveaux référents européennes mais ils produisent à pure perte. Il n'est plus dès lors concevable de construire de nouvelles capacités nucléaire sans s'inquiéter de leur débouché comme ce fut le cas dans les années 1980[10]. Non seulement le cout absolu d'un réacteur est colossal mais son coût relatif augmente à mesure du développement des énergies de flux qui peuvent produire à un prix bien moindre sur une bonne partie de l'année.
Fin décembre cette nouvelle donne s'est traduite de manière imprévues. Dans un contexte climatique exceptionnel, la demande d'électricité en France a été articulièrement faible au regard des prévisions. Dans le même temps, semaine 52, les conditions atmosphériques ont permis une production abondante d'électricité éolienne. 5 982 MW ont été produits le 26 décembre à 16 h 15[11]. EDF s'est ainsi retrouvé en situation de surproduction d'électricité nucléaire sur un marché européen où le coût du KWh a atteint des prix plancher[12]. Du 26 décembre au 1er janvier, le prix du KWh n'a jamais dépassé les 30 €... même en heure de pointe !
Faute de trouver des débouchés et une rémunération suffisante, EDF a pris la décision de suspendre la production de plusieurs réacteurs nucléaires. 10 % du parc nucléaire français ont ainsi été arrêtés en France semaine 52. En Haute-Normandie, comme on peut le voir sur les sites des centrales de Paluel et Penly, 3 réacteurs sur 6 ont été stoppés au cours de cette période. " Des températures supérieures aux normales saisonnières conjuguées à une faible consommation d'électricité durant la période de Noël entraînent des besoins en production peu importants. Le gestionnaire des moyens de production d'EDF a donc demandé l'arrêt de l'unité de production. Le
réacteur sera mis à l'arrêt aujourd'hui et remis à la disposition du réseau électrique dans les prochains jours, en fonction de la demande d'électricité.[13]"
Pour la première fois en pleine période hivernale, la Haute-Normandie a pu faire face à ses besoins et aux contrats à terme de fourniture d'électricité d'EDF en période hivernale avec seulement 3 réacteurs sur 6. Si l'on ajoute à cela la très faible disponibilité des réacteurs depuis le début de l'année 2012 [14], il apparaît clairement que la demande effective d'énergie ne justifie plus le maintien de 6 réacteurs nucléaires sur le littoral haut normand.
Toutes les données disponibles tendent à démontrer que la production nucléaire régresse alors que son coût poursuit une hausse irréversible à mesure de la réévaluation par l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) des exigences de sécurité de la production et de la chaine du combustible. L'année 2012 est indubitablement celle du recul de la production nucléaire française trop chère, trop peu modulable et surtout si dangereuse. A lire la note de conjoncture énergétique d'août 2012 établie par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), il apparaît même qu'EDF a du faire appel à des moyens thermiques classiques cet été pour compenser la piètre disponibilité des centrales et les défaillances des centrales hydrauliques dans un contexte de sécheresse[15]. Il n'est pas difficile d'imaginer le coût cumulé pour EDF de la maintenance des centrales à l'arrêt (environ 1.5 m € / jour) et de l'approvisionnement en combustible des vieilles centrales à charbon...
Force est de reconnaître que le nucléaire n'est plus une garantie satisfaisante que ce soit face au réchauffement climatique ou face à la montée de la précarité énergétique[16]. Dans tous les cas de figures, été comme hiver, le nucléaire est trop cher à la lumière des prix du marché. Concrètement, des consommateurs français se retrouvent, sans le savoir, à bénéficier à certains moments d’électricité allemande moins chère que l’hexagonale (alors que le prix du kWh à l'unité est plus cher pour les ménages allemands du fait de la structure tarifaire). Et ils s'en rendront d'autant moins compte que, mercredi, le ministère de l'écologie et de l'énergie a annoncé que le prix de l'électricité va augmenter de 2,5 % au 1er janvier en raison de la hausse d'une taxe qui finance notamment les énergies renouvelables. Comme le déclare Didier Anger dans un communiqué du CRILAN du 23 décembre 2012, l'électricité nucléaire française n'est pas la moins chère au monde[17]. Il conviendrait dès lors de mettre fin à ce mensonge d'Etat à l'heure où s'ouvre le débat national sur la transition énergétique[18] (DNTE).
En conséquence, le Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs revendique en ce début d'année 2013 que la transition énergétique soit effectivement mis à l'ordre du jour en Haute-Normandie. La région ne saurait se satisfaire du scénario timoré présenté par le conseil régional à l'occasion de la réalisation du schéma régional climat-air-énergie (SRCAE). L'arrêt des réacteurs 1 & 2 de la centrale de Paluel, la suspension définitive du projet Penly III, la mise en œuvre d'une politique audacieuse de développement des énergies renouvelables thermiques et électriques par les collectivités locales et l'accélération de la politique de rénovation de l'habitat doivent être désormais à l'ordre du jour. Il est grand temps que la Haute-Normandie se soustrait à la menace nucléaire et garantisse à tous le service énergétique auquel chacun à droit.
[1] oubliant de préciser que le pic 2012 a été atteint le 9 février avec 103 000 MW.
[2] Créée en 2004 à un montant de 4,5 euros par MWh, la CSPE s'est envolée depuis 2011, en passant successivement à 7,5 euros, 9 euros et 10,5 euros depuis le 1er juillet.
[4] à peine 20 000 GWh si l'on décompte le gros hydraulique contre 420 000 pour le nucléaire et 50 000 pour le thermique classique
[6] http://www.mediapart.fr/journal/economie/181212/electricite-la-france-nest-pas-si-competitive-que-ca
[7] voir rapports de l'EWEA sur ce point sur www.ewea.org
[8] A l'inverse, seule la France veut maximiser son nucléaire (qui est calé sur une exportation la plus régulière possible) alors que les autres font tourner leurs centrales
nucléaires sans modulation à puissance fixe (et le nucléaire n'est pas une variable d'ajustement).
[9] http://www.mediapart.fr/journal/economie/181212/electricite-la-france-nest-pas-si-competitive-que-ca
[10] On comprend mieux dès lors les réticences d'EDF à se lancer dans l'aventure de l'EPR. Le nucléaire est dans le piège des centrales de base à fort investissement : impossible de garantir que l'on tournera de façon rentable en base pendant 40 ans, tant il est possible (probable) qu'une partie de l'année les surplus de l'éolien et bientôt le PV vont être moins chers sur le marché. Le nouveau nucléaire est ainsi très cher (6 Mds pour l'EPR) et a des débouchés de plus en plus incertains. Pas étonnant qu'EDF soit maintenant sur le maintien du parc existant....
[11] http://www.energie2007.fr/actualites/fiche/4289/eolien_rte_energie_record_froid_vent_electricite_ademe_271212.html
[12] http://www.epexspot.com/en/market-data/auction/auction-table/2012-12-26/FR
; des prix négatifs ont même été côtés en Allemagne sur certaines tranches horaires aux vues de l'abondance d'énergie éolienne (http://www.ecoco2.com/blog/?p=1551)
[13] http://energie.edf.com/nucleaire/carte-des-centrales-nucleaires/centrale-nucleaire-de-penly/evenements-45965.html ; http://energie.edf.com/nucleaire/carte-des-centrales-nucleaires/centrale-nucleaire-de-paluel/vie-de-la-centrale-45971.html
[14] si l'on ne considère que Paluel 3 et Penly 2, ces réacteurs ont été chacun à l'arrêt pendant 4 mois. Une revue de détail de l'activité des 4 autres tranches donnent à voir un taux de disponibilité nettement en deçà des objectifs affichés par EDF en 2011.
[15] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Chiffres_et_statistiques/2012/chiffres-stats358-conjoncture%20%C3%A9nerg%C3%A9tique-201208-octobre2012.pdf
[16] http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/0202413583793-chauffage-electrique-ufc-que-choisir-tres-critique-514795.php?xtor=RSS-2059
Pour en savoir plus, mois par mois, sur l'import/export d'électricité entre la France et l'Allemagne, voir ici
http://energeia.voila.net/electri/france_allemagne.htm
Comme toujours, excepté une partie de l'année 2011, l'Allemagne exporte davantage vers la France.
D'autre part, y compris en 2011, l'Allemagne a toujours plus eu un bilan exportateur avec ses voisins en électricité.
Rédigé par : Raymond | 28 février 2013 à 17:00