L'actualité est souvent paradoxale pour ne pas dire surprenante. A l'heure où le débat sur la "mariage pour tous" suscite un émoi profond dans l'opinion publique, des événements se produisent dans l'indifférence quasi générale.
Coup sur coup sur des Evêques à Troyes et à Nantes prennent fait et cause pour l'écologie face à un gouvernement qui ne se préoccupe guère de la Nature et des générations futures. L'évêque de Troyes met en cause le projet d'enfouissement de déchets radioactifs en couche géologique profonde à Bure. Celui de Nantes lance un vaste débat dans son diocèse sur le projet d'aéroport de Notre-Damedes Landes.
Ces deux paroles épiscopales ne sauraient être ignorées. L'une comme l'autre développent une réelle réflexion écologiste qui tranche nettement avec la culture du redressement productif en vigueur à la tête de l'Etat.
Le 10 décembre 2012, le diocèse de Nantes publiait sur son site une tribune qui mérite que l'on s'y arrête. Les fidèles du groupe " Ecologie paroles de chrétiens " ont produit un texte d'une indéniable qualité qui donne à voir une profonde réflexion qui intègre le meilleur de la théologie progressiste contemporaine :
L’impératif de responsabilité : quels enjeux économiques bien sûr, et notamment quelle stratégie pour l’emploi à court et à moyen terme ? Quels enjeux concernant la santé et la sécurité des populations concernées (dans l’agglomération nantaise en raison de la présence de l’aéroport actuel et à Notre Dame des Landes), mais aussi les intérêts des générations futures et de la création toute entière? Quid de la préservation des ressources en eau, en terres arables en Loire-Atlantique, en France, et dans le monde… quand on connaît l’accélération de l’artificialisation des terres ? Comment prendre en compte dans la réflexion les principes de précaution et de durabilité ?
L’impératif de justice et de solidarité : qui seront les principaux bénéficiaires de la nouvelle installation aéroportuaire, et qui en subira les conséquences (expulsions des terrains agricoles, engagements de financement …) ? Comment prendre en compte sur ce projet une « option préférentielle pour les pauvres », intégrant les intérêts de tous les pauvres d’aujourd’hui, bien sûr, mais aussi des générations futures, et de la création ?
L’impératif de service du bien commun : quels sont les intérêts favorisés par ce projet ? Quels sont ceux qui s’en trouvent victimes ? Quels sont les impacts non seulement sur l’économie locale et régionale, mais sur les grands équilibres au niveau national et européen, alors que la priorité est d’assurer la transition vers une économie plus sobre ? Quel est aussi son poids prévisible à moyen et long terme sur les finances publiques, et par conséquent sur la possibilité d’autres choix politiques, économiques et sociaux dans un contexte de restrictions budgétaires, dès aujourd’hui, et pour les générations à venir ?
L’impératif de vérité : la communication auprès des populations est-elle aujourd’hui claire et contradictoire sur tous les aspects du projet ? Un exemple : la distinction subtile du remplacement des zones humides par une équivalence des fonctions écologiques. Le débat public a-t-il suffisamment pris en compte les évolutions les plus récentes du dossier, dans un contexte économique et écologique qui a beaucoup évolué depuis les premières études sur le projet, dans les années 60, il y a plus de 45 ans ? Même si la décision émane de collectivités locales démocratiquement responsables, les procédures démocratiques et juridiques sont-elles respectées dans les conditions actuelles du débat ? Intègrent-elles les impératifs du long terme ?
L’impératif de défense de la dignité de l’homme : quelle conception de la croissance économique derrière ce projet ? Plus, ou mieux ? Quelle conception du rapport entre les espaces urbains, ruraux et intermédiaires ? Quels choix dans le domaine de l’urbanisme, concentration ou renforcement de la maille des centres urbains ? Quelle place pour l’homme et pour le vivre en commun ? Quelle conception aussi d’un dialogue digne et respectueux entre élus, responsables, experts et citoyens, autour d’un projet qui divise ? C’est aussi ce critère de dignité de l’Homme qui pourrait aider à sortir de logiques de raisonnement juxtaposées, et opposées, pour les articuler en ne considérant qu’un seul intérêt, celui de l’humanité.
Ce sont également des questions de nature spirituelle que pose le projet, celles de notre rapport à la terre, aux autres, et à nos limites. Notre refus de considérer qu’il peut y avoir une limite à la croissance et à la concentration urbaine n’est-il pas une conséquence de la tentation de toute puissance de l’homme moderne ? « Notre humanité a besoin de gens responsables et solidaires […] réconciliés avec leur condition d’enfants de la terre. Elle a besoin de vrais jardiniers».
Il faut voir là l'expression d'un réel intéret pour l'écologie bien plus politique que les renoncements d'EELV depuis l'assomption ministérielle de Cécile Duflot. Ces chrétiens s'inscrivent là dans la brèche ouverte par le mouvement écologiste quand ils remettent en cause la " tentation de la toute puissance de l'homme moderne ". Et l'on ne peut que les suivre quand ils déclarent que toute technologie n'est pas neutre, que tout choix d'aménagement ne saurait être déterminé par la soif de profit, qu'il y a des
limites à la croissance.
Ces prises de positions ne tombent pas du ciel. Les déclarations épiscopales sur Cigéo et sur Notre-Dame-des-Landes s'inscrivent dans une brèche ouverte en 2009 par le pape Benoit XVI lui-même. En deux ans, le chef de l'Eglise catholique en effet a
construit une doctrine écologiste de l'Eglise qui marque une évolution nette avec le naturalisme réactionnaire de ses prédécesseurs.
En Octobre 2009, Benoît XVI a déclaré "prier" pour que " le monde ne soit plus jamais témoin de destruction de masse de vies humaines innocentes " semblables à celles
des attaques nucléaires contre Hiroshima et Nagasaki. Lors de l'angélus célébré place Saint-Pierre au Vatican, il a salué, en anglais, un groupe de survivants des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki dans les derniers jours de la Seconde guerre mondiale. En mai 2010, Benoit XVI fait un pas de plus. Il déclare urbi et orbi, " La paix repose sur la confiance et sur le respect des obligations prises, non pas uniquement sur l'équilibre des forces. Dans cet esprit, j'encourage les initiatives qui visent à un désarmement progressif et à la création de zones sans armes nucléaires, dans la perspective de leur élimination complète."
Deux ans plus tard, Benoit XVI se distingue par des prises de position très honorables face à la catastrophe de Fukushima à mille lieux des approches apocalyptiques qui ont longtemps prévalues à Rome. Le pape en juin 2011 a appelé la communauté internationale à prendre ses responsabilités dans la gouvernance de la planète. Il a en outre manifesté sa préférence pour les énergies propres, pour ne pas mettre en danger l'intégrité de la nature et la survivance de l'homme sur la planète. Les catastrophes, selon Benoît XVI, doivent devenir des instruments de réflexion politique, d'une révision radicale du modèle de développement et de nouveaux modes de vie. Le Pape déclarations après déclarations se présente comme un opposant modéré mais résolu de l'énergie nucléaire militaire.
S'il reste plus modéré sur le nucléaire civile s'inscrivant dans le vieux sillon favorable aux usages raisonnés de l'énergie nucléaire "pour la paix", Benoît XVI apparait bel et bien comme un Pape écolo. Le discours du 9 juin 2011 mérite du reste que l'on s'y arrête :
L’homme, à qui Dieu a confié la bonne gestion de la nature, ne peut pas être dominé par la technique et devenir son sujet. Une telle prise de conscience doit amener les Etats à réfléchir ensemble sur l’avenir à court terme de la planète, face à leurs responsabilités à l’égard de notre vie et des technologies. L’écologie humaine est une nécessité impérative. Adopter en tout une manière de vivre respectueuse de l’environnement et soutenir la recherche et l’exploitation d’énergies propres qui sauvegardent le patrimoine de la création et sont sans danger pour l’homme, doivent être des priorités politiques et économiques. Dans ce sens, il s’avère nécessaire de revoir totalement notre approche de la nature. Elle n’est pas uniquement un espace exploitable ou ludique. Elle est le lieu natif de l’homme, sa « maison » en quelque sorte. Elle nous est essentielle.
Tout écologiste qu'il soit athée ou croyant ne peut que se reconnaître dans un tel discours. On y voit un réel souci pour la Nature qui aboutit à des préconisations politiques concrètes. Le pape ne se contente pas d'une célébration nostalgique d'une
Nature idéal mais invite l'humanité à une réelle prise en compte de l'enjeu environnemental dans le cadre de qu'il appelle une écologie humaine. Plus loin, Benoit XVI énonce des positions qui dénoncent la société de consommation et le culte de la technoscience:
Il convient aussi de s’interroger sur la juste place de la technique. Les prouesses dont elle est capable vont de pair avec des désastres sociaux et écologiques. En dilatant l’aspect relationnel du travail à la planète, la technique imprime à la mondialisation un rythme particulièrement accéléré. Or, le fondement du dynamisme du progrès revient à l’homme qui travaille, et non à la technique qui n’est qu’une création humaine. Miser tout sur elle ou croire qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas. Il suffit de constater les "dégâts" du progrès et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement non maîtrisée. La technique qui domine l’homme, le prive de son humanité. L’orgueil qu’elle engendre a fait naître dans nos sociétés un conomisme intraitable et un certain hédonisme qui détermine subjectivement et égoïstement les comportements.
Au principe de responsabilité, Benoit XVI associe une critique de la technologie qui n'est pas sans rappeler Jacques Ellul. Et si à cela on adjoint le souci de l'environnement, force est de reconnaître que les trois piliers de l'écologie politique se trouvent ainsi réunis dans la parole pontificale.
Il ne s'agit aucunement d'une simple posture. Ces prises de positions successives du pape sur l'écologie répondent à un mouvement de fond que l'on observe au sein de l'Eglise romaine depuis de nombreuses années. Benoit XVI en s'exprimant ainsi rejoint et conforte l'engagement de nombreux catholiques sur le terrain. Ils sont nombreux en effet dans les AMAP, parmi les faucheurs volontaires, à s'engager pour la transition énergétique et même la décroissance. On ne compte plus les associations écologistes catholiques qui s'engagent dans les résistances écologistes locales et mondiales à l'image du CCFD Terre solidaire. Les catholiques sont aujourd'hui une composante à part entière du mouvement écologiste et des associations qui le constituent.
Il n'est pas étonnant dès lors que l'Evêque de Troyes, Marc Stenger, prenne une position courageuse sur le projet de site de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Ce faisant il rappelle quelques fondamentaux que l'on entend plus guère dans les paroles des représentants officiels de l'écologie politique :
L'énergie nucléaire est ses conséquences touchent à notre vision de l'homme et du monde, aux valeurs et aux engagements humains que nous promouvons L'homme a une responsabilité particulière de veilleur et de protecteur par rapport à ce monde. Il a donc le devoir de se donner les moyens de comprendre ce qui est de sa esponsabilité.
L'enjeu se situe pas simplement au niveau du traitement des déchets, mais bel et bien à celui de l'humanité qu'on veut développer. Nous devons demeurer conscients que les techniques, dont nous avons hérité ou que nous avons créées, peuvent aussi détruire les êtres et les valeurs humaines.
Ce souci de protection de la vie est celui de tout militant écologiste. Ainsi cet évêque s'inscrit dans la continuité d'un René Dumont qui dès 1974 mettait en cause les dégâts d'une société délirante compromettant les possibilités même de la survie de l'espèce humaine.
Onne peut que reconnaître la portée de la parole de cet Evêque quand il écrit que "ce n'est pas à la technique de déterminer l'avenir de l'homme." Il ne va ainsi dans le domaine du génie génétique ou de l'énergie pour ne prendre que ces deux exemples. Ecologistes et catholiques sont en parfait accord sur le fait que la technique doit être au service de l'homme. C'est bien pour cela qu'ils sont ensemble contre les OGM cultivés en plein champ ou les nanotechnologies et de nombreuses menaces des technosciences.
Mais manifestement cette évolution du discours religieux ne touche pas la nomenklatura verte. Au lieu d'ouvrir un dialogue durable sur l'écologie avec les catholiques, Cécile Duflot, la papesse de l'écologie carriériste, s'en prend à l'Eglise.
Début décembre, au titre de la réquisition de logements vacants au profit des sans logis, la ministre vise explicitement les biens diocésains. A l'image de ses collègues du gouvernement elle associé une maladresse dans la forme et une faute sur le fond. Tout porte en effet à voir que l'action des catholiques en faveur des mal logés et des pauvres est loin d'être nulle. Si des réquisitions sont en effet nécessaires, Cécile Duflot devrait déjà chercher des solutions d'urgence dans le parc immobilier de l'Etat et des collectivités territoriales.
Les affirmations de la ministre du logement, concernant les biens immobiliers de l'Eglise et leur possible réquisition sont un exemple parfait d'une prise de position faussement progressiste sur un sujet de société visant à masquer l'impuissance, ou plutot l'absence de volonté, pour résoudre un problème gravissime. L'importance des biens de l'Eglise est très loin d'être à la hauteur des difficultés du logement d'urgence ou du logement social, dont les racines économiques ne sont pas traitées par le gouvernement Ayrault.
Si la confiscation des biens de l'Eglise correspondait au rapports de production de la fin du XVIIIe siècle, tout amène à penser qu'une telle ambition est dérisoire aujourd'hui. Dans une tribune parue dans le journal Le Monde le 10 décembre, l'économiste Pierre-Cyrille Hautcoeur, l'explique clairement :
Aujourd'hui, pourtant, une réforme politique radicale qui tenterait de liquider des actifs au nom de leur rendement économique insuffisant ne saurait viser l'Eglise, dont le patrimoine n'est pas en mesure de changer quoi que ce soit à la situation des inances
publiques.
En revanche, certains pourraient accuser de mainmorte une part du patrimoine de l'Etat, telle que monuments peu utilisés, parcs nationaux peu visités, réserves des musées et, par extension, musées et théâtres publics, et même écoles, hôpitaux, universités, tribunaux, etc. La privatisation totale de ce patrimoine est prônée par la droite radicale américaine, au nom d'une idéologie qui nie l'existence des biens collectifs et sociaux.
Si la gauche française veut éviter le développement d'une telle idéologie, elle ne doit pas s'en prendre au patrimoine ecclésiastique, mais mettre sur le même plan d'autres fondations privées dont l'usage des biens diffère parfois de "l'utilité publique" dont elles se prévalent.
Le jugement est sans appel et a le mérite de la clarté. Plutôt que de viser un coupable
idéal" dans le contexte de la polémique sur le mariage pour tous, on aurait attendu d'une ministre a fortiori écologiste vise des investisseurs institutionnels et les grands groupes de l'immobilier afin de concrétiser un vieil engagement de la gauche.
Mais cela dérogerait à la ligne définie par François Hollande. Le gouvernement Ayrault ne saurait s'en prendre aux intérêts financiers acquis que ce soient ceux de Vinci à Notre Dame des Landes ou ceux d'AREVA au Niger.
Une fois de plus Cécile Duflot et la direction d'EELV donnent à voir que les effets d'annonce sont plus importants les réelles réalisations politiques. Viser l'Eglise catholique à l'heure où elle proclame clairement son attachement à la cause écologiste est au mieux une erreur. En agissant de la sorte, le Parti écologiste fragilise l'ensemble du mouvement écologiste à la veille d'une échéance fondamentale telle que le Débat national sur la transition énergétique. Les partisans d'un modèle énergétique soutenable ne sont pas si nombreux pour qu'EELV s'aliène une partie d'entre eux.
Somme toute ce qui pose problème c'est le positionnement d'EELV. Une fois encore le choix de la participation au gouvernement Ayrault met en cause voire fragilise le cœur même de l'engagement écologiste. En pratiquant jusqu'à l'absurde une solidarité institutionnelle avec le Parti socialiste, les professionnels de l'écologie politique compromettent la constitution d'un mouvement écologiste pluraliste et ouvert.
Ce n'est pas ainsi que le mouvement écologiste pourra dénoncer les thuriféraires de la technosciences et les apôtres de la rédemption par la croissance. Il conviendrait de regarder où sont les vrais alliés dans le contexte actuel et agir avec tous ceux et celles qui sont favorables à des solutions effectives à la mesure des enjeux.
En effet le problème majeur du temps présent n'est pas de préparer les municipales de 2014 mais d'imaginer comment faire face à une crise écologique puissante, profonde et généralisée. L'économie mondiale est en état de survie prise entre la déplétion des matières première et le réchauffement climatique. Depuis 2008 on sait parfaitement que les rythmes de l'économie réelle sont déterminés par les tensions sur le marché du pétrole. L'urgence est de favoriser la résilience des sociétés à ce contexte inédit et non de favoriser un fragile "redressement productif".
Manifestement les catholiques bien plus que l'équipe Hollande ont pris conscience de cet enjeu. Il s'agit donc d'entrevoir la possibilité d'agir ensemble pour que la IIIe révolution industrielle prônée par Rifkin devienne une réalité.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.