La semaine qui vient de s'écouler a été marquée par une série d'événements qui donnent à voir la crise profonde que traverse le parti de l'écologie politique. Coup sur coup des élus de premier plan ont annoncé leur démission d'EELV. Emilie Thérouin à Amiens, Dany Cohn-Bendit au parlement européen et ici de Nathalie Maine, ancienne adjointe au maire à la culture de Mont-Saint-Aignan, pour ,ne parler que des plus notoires ont rendu leur carte.
A peine quatre ans après la création d'Europe écologie par Dany Cohn Bendit, le rassemblement entre le Parti Vert et cette dynamique issue de la société civile se solde par un échec retentissant. Si quelques uns ont pu bénéficier de l'effet d'entrainement initié par Cohn-Bendit et les personnalités qu'il a rassemblées autour de lui, force est de reconnaître que l'écologie n'a jamais été aussi malmenée.
La présence au gouvernement de 2 ministres écologistes et d'une trentaine d'élus à l'Assemblée nationale comme au Sénat ne se traduit par aucune inflexion réelle de la politique mise en œuvre par François Hollande et Jean-Marc Ayrault. La transition écologiste reste au point mort. La nouvelle majorité pas plus que la précédente n'est disposée à prendre les mesures d'urgence face au réchauffement climatique, à l'effondrement de la biodiversité, et à la déplétion des matières premières.
La conférence environnementale qui a eu lieu mi-septembre ne s'est pas traduite par des annonces retentissantes. Le gouvernement n'a fait que répéter les engagements timorés du candidat Hollande. Si ce n'est un effet d'annonce sur les gaz de schiste dont les associations ne voient aucune traduction concrète sur le terrain, aucune proposition nouvelle n'a été formulée.
Le fameux "l'écologie ca suffit" de Nicolas Sarkozy n'a aucunement été remis en cause. Dans le secteur des énergies renouvelables, les entreprises ne voient aucune issue à la crise ouverte par des décisions politiques climaticides. Ce sont des milliers d'emplois qui ont déjà été supprimés et autant qui sont aujourd'hui menacés. Les salariés des parcs naturels ne sont pas épargnés par la gestion comptable des finances publiques sans parler du budget du ministère de l'environnement ni des compétences d'une ministre manifestement dépassée par la tâche.
En région comme dans les communes, la situation n'est guère plus encourageante. chacun attend des mesures claires en faveur de la maitrise de l'énergie, des énergies renouvelables, de l'air, de la biodiversité, des mobilités douces, etc. Tout au plus des effets d'annonce mais rien de convaincant. Ici à Rouen, alors que les évaluations officielles donnent à voir les conséquences délétères des déplacements motorisés sur la santé-publique, on attend toujours des mesures fortes. Les pistes cyclables dans l'agglomération ne forment pas un réseau cohérent mais une série de pointillés sans grande cohérence. Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) en cours d'élaboration laisse la part belle aux tendances anciennes derrière un discours de bonnes intentions. La même passion du macadam inspire un urbanisme d'un autre temps...
La liste des déceptions est encore longue si l'on prend en compte la modestie des moyens mis en œuvre par la région. l'économie sociale et solidaire ne saurait servir plus longtemps de paravents à des politiques publiques productivistes. La région Haute-Normandie se distingue nettement par un positionnement social-démocrate qui privilégie des politiques de croissance associant le soutien à des industries déjà en crise, des projets préjudiciables à l'environnement et un refus catégorique de réorientation de l'aménagement du territoire.
Tout ici s'inscrit dans le cadre du développement métropolitain du Grand Paris si cher aux intérêts économiques. Les projets soutenus et mis en œuvre ont pour plus petit commun dénominateur de soumettre la région à un plan global d'aménagement du territoire au seul profit de la mégalopole francilienne.
La Haute-Normandie se trouve ainsi coupée de son environnement géographique pour être réduite à la simple fonction de couloir industriel et logistique ente Paris et la mer. Rien ne change. La tendance ancienne initiée dès les années soixante par le desserrement d'activités industrielles vers la Basse-Seine n'est pas remise en cause voire approfondie. cette orientation se traduit concrètement par les projets délirants d'axes de communications nouveaux, de plateformes logistiques, de soutien à une filière énergétique surdimensionnée.
Bien des éléments objectifs démontrent que cette orientation relève plus de l'utopie que de la réalité objective. Le Havre ne peut rivaliser avec le Northern Range pour diverses raisons. Il sera toujours plus aisé pour le trafic maritime de se rende à Anvers ou Rotterdam que de risquer de s'échouer dans l'estuaire de la Seine. Il sera toujours plus facile d'opérer une rupture de charge vers le rail et la voie fluviale aux Pays-Bas que sur le port du Havre encaissé au bas des plateaux du Pays de Caux.
La mégalomanie des décideurs locaux les amènent à oublier la réalité du territoire et de l'environnement. La Haute-Normandie est un espace complexe, scandé par des courbes de niveaux imposantes, coupé par des vallées profondes et un fleuve sinueux. Un espace où la Nature est en peine, où les forêts sont moins étendues qu'ailleurs, où l'anthropisation des sols accroit les conséquences des accidents climatiques et hydrologiques.
Plutôt que de courir après des rêves de puissance au service d'une région capitale vorace et impérieuse, il conviendrait de renouer avec le souci du développement local. Chacun sait aujourd'hui que les emplois durables sont des emplois strictement localisés. Il conviendrait dès lors de renouer avec une véritable culture du territoire qui élabore des projets non pas par rapport à un marché mondial conflictuel et déflationniste mais à partir des besoins effectifs des populations et des ressources autochtones. Ce que certains appellent la démondialisation...
Les atouts de la Haute-Normandie ne sont pas maigres pour faire face à ce défis. L'eau, le vent, la mer, les savoirs faire industriels sans oublier le potentiel agricole sont une richesse qui n'a jamais été mobilisée pleinement. Bien au contraire le modèle de développement promu par des décennies avec la complaisance des élus écologistes a abimé ses ressources et compromis les possibilités d'un avenir durable et solidaire.
Tel est bien l'arrière fond sur lequel se décline la crise du Parti de l'écologie politique ici comme à une échelle plus vaste. Les Verts puis EELV depuis 1997 loin de s'opposer à le statu quo productiviste ont accompagné des majorités de gauche cédant tout au plus au greenwashing. Si Dominique Voynet a pu retarder la filière EPR, elle n'a pu mettre au cœur des politiques publiques l'enjeu écologique. Trois réacteurs nucléaires ont été raccordés au Réseau, la prospection de sites d'enfouissement des déchets radioactifs lancée, des cultures OGM validées...
Jamais le bilan des années 1997-2001 n'a été réellement établi de manière contradictoire. Il faut dire que les intérêts nouveaux liés à la cogestion de bon nombre de collectivités locales par des Verts aux côtés du Parti socialiste a empêché que ce débat ait lieu. Le Parti écologiste insensiblement s'est trouvé entrainé sur une pente qu'aucun responsable n'avait anticipée. De "l'autonomie contractuelle" les Verts sont passés à la "sous-traitance dépendante".
La Haute-Normandie a été un laboratoire de cette dérive du Parti de l'écologie politique. Le choix de la liste unique avec le Parti socialiste en 2004 a marqué l'inféodation des Verts au PS. Depuis les liens n'ont cessé de s'approfondir entre les deux mouvements. Les Verts apparaissent comme une simple annexe du Parti socialiste qui bénéficie tout au plus de quelques niches pour donner le spectacle d'une efficacité institutionnelle.
Mais EELV reste à l'écart des orientations voulues et mises en œuvre par les caciques sociaux-démocrates. Le plan climat énergie territoriale, le schéma régional de développement économique et aujourd'hui le SRCAE donnent à voir une ncapacité profonde à peser sur le cœur des politiques publiques. Les élus sont en quelque sorte soumis à la loi d'airain du bon vouloir du PS. Tout au plus est gagné ce que le PS concède... jamais ce que l'écologie politique exige. Les petits arrangements ont mené à une défaite politique qui n'a fait que préfigurer les renoncements de l'accord national du 15 novembre 2011.
Même quand les écologistes disposent d'une position institutionnelle non négligeable, l'inféodation au Parti socialiste empêche toute autonomie et toute affirmation singulière. A Rouen Guillaume Grima a payé chèrement son insoumission à l'autorité de la maire. A Mont-Saint-Aignan à l'inverse, le groupe des élus écologistes a été étonnement muet pendant plusieurs années se ,contentant de remplir fidèlement les missions que le maire et son cabinet voulaient bien leur laisser. Quand la succession de Pierre Léautey a été en jeu... il ne leur restait plus qu'à sa soumettre ou à démissionner.
On touche là au cœur du problème. Après une décennie de renoncements et de soumission la seule alternative à la cogestion est la rupture. Cela donne à voir que le Parti écologiste n'a jamais su instaurer en Haute-Normandie une relation politique d'égal à égal avec le PS. Les partisans de l'inféodation ont toujours préféré une posture de la "dissuasion du faible au fort" plus conforme à leurs ambitions individuelles. Ils ont pu y gagner quelques postes, favoriser certains de leurs amis et même liquider l'opposition interne au sein des Verts.
Le symbole de cette dérive est la campagne commune avec le Parti socialiste sur la deuxième circonscription de Seine-Maritime. Non seulement la candidate a été opportunément désignée de façon à ce qu'un jeune loup du PS puisse se présenter comme suppléant, mais toute la campagne a été conçue autour du programme de François Hollande sans accorder la moindre place au projet écologiste. La quête des postes l'a complètement emporté sur l'affirmation de la singularité du Parti écologiste. Les électeurs ne s'y sont pas trompés... La candidate a été considérée comme une socialiste et n'a pas été élu en raison du forte mobilisation de la droite.
Les conséquences de cet échec politique et électoral ne se sont pas fait attendre. La crise latente au sein d'EELV Haute-Normandie a éclaté à peine les législatives terminées. Les débats qui n'avaient pu avoir lieu au cours des campagnes présidentielle et législative ont ressurgi . Les partisans de l'autonomie du Parti écologiste ont pu exprimer leur désaccord avec la ligne générale du Parti... entrainant une réaction puissante des partisans de l'alliance indéfectible avec "l'allié naturel socialiste". On peut parler d'une crispation interne qui finalement abouti à l'inverse du résultat escompté.
Loin de provoquer un réel débat, les opposants se sont trouvés marginalisés plus encore. A la fin de l'été une conseillère municipale de Dieppe a quitté le groupe écologiste, le groupe au conseil de la communauté d'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe se réduit à quelques élus qui supportent encore le fonctionnement de cette institution, hier une ancienne adjointe au maire de Mont-Saint-Aignan quitte le Parti. Les groupes locaux traversés par la crise n'ont plus guère d'activité. Les réalistes l'ont emporté.
On peut dès lors se demander légitimement avec Jean-Pierre Legoff si EELV est il voué à autre chose qu'à l'éclatement ? (http://www.atlantico.fr/decryptage/cohn-bendit-claque-porte-eelv-est-voue-autre-chose-qu-eclatement-jean-pierre-goff-570357.html?page=0,1 )
Des militants se sont exprimés dans les colonnes du Monde récemment donnant à voir leur déception mais aussi leur envie de soutenir une écologie autonome, indépendante qui ne s'abandonne pas à des compromissions avec la gestion productiviste des affaires publiques avec le parti socialiste !
(http://gauche.blog.lemonde.fr/2012/12/04/a-eelv-la-deception-danciens-militants/).
En Haute-Normandie se courant écologiste existe. Il n'entend plus se soumettre aux diktats des apotres du renoncement soumis à la fédération socialiste. Une écologie authentique est possible ici.
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