Aujourd’hui Cécile Duflot est une ministre fidèle du gouvernement Ayrault. Les déconvenues se sont accumulées depuis l'entrée au gouvernement de deux ministres écologistes. Non seulement aucune promesse de la campagne n'est tenue, mais tout donne à voir que l'écologie est ramenée à la portion congrue par un pouvoir attaché à la mythologie productiviste et au mythe de la croissance. Même la droite s'amuse de cette situation anachronique.
La ligne assumée par les ministres écologistes lasse non seulement les écologistes mais aussi les députés du parti socialiste. Jean-Paul Chanteguet, le président (PS) de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, a le premier rendu publiques ses inquiétudes, dans un entretien mis en ligne, lundi 29 octobre, par le site Internet du quotidien Les Echos. "J'ai le sentiment que l'ambition du président de la République de faire de la France le pays de l'excellence environnementale est un discours pour rien, y déclare-t-il. [...] Aujourd'hui, personne au gouvernement, à part [la ministre de l'écologie] Delphine Batho ne parle de transition écologique, d'excellence environnementale, de nouveau modèle de développement."
L'annonce de la nomination des cinq sages qui animeront le Grand débat sur l'énergie n'a fait qu'accroître le malaise. Le torchon brûle entre la société civile écologiste et le gouvernement. Les ONG qui avaient participé au Grenelle de l'environnement annoncent les unes après les autres qu'elles se retirent de cette procédure, mettant en cause le positionnement conservateur de la ministre Delphine Batho. La crise est telle qu'elle vient brouiller la communication d'EELV. Si le samedi soir, les porte-parole du parti mettent en cause la nomination d'Anne Lauvergeon au comité de pilotage, le mardi matin, Pascal Durand s'en félicite sur RTL ...
Force est de reconnaître que le projet d’écologiser la société en participant au gouvernement Ayrault est un échec complet. La société s’écologise toute seule grâce au travail patient des associations, de médias qui comprennent les enjeux et de personnalités telles Pierre Rabhi qui inspirent plus de respect que bien des élu(e)s écologistes. L'ampleur de la mobilisation contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, donne à voir mieux que tout autre exemple cette vitalité écologiste. Partout en France des groupes de transition se forment et agissent à l'échelle locale : l'association Energie partagée a réuni en quelques mois 3 millions d'euros pour financer le développement des énergies renouvelables, Enercoop connait un véritable succès...
Sans susciter de critique puissante des ministres écologistes, François Hollande refuse de voir cette effervescence politique et persévère à promouvoir une politique d'un autre temps, "qui tente de persuader la terre entière que le salut est dans la croissance, alors que celle-ci est impossible, du fait que la pire des crises est la crise écologique. Celle-ci est dûe essentiellement à une population croissante dans les pays riches, qui dilapide de plus en plus vite les terres arables nourricières, des ressources naturelles, ainsi que des énergies fossiles qui vont devenir de plus en plus rares et de plus en plus chères, ce dont le président de la République et le PS n'ont toujours pas pris conscience."
La présence de ministres écologistes au gouvernement s'apparente même à une catastrophe. L'écologie n'a jamais été dans un si mauvaise situation institutionnelle. François Hollande a brisé net l'affirmation depuis Corinne Lepage du ministère de l'environnement. La mise au banc de Nicole Bricq et de Géraud Guibert en juin 2012 marque la mise au pas de ce ministère confiée depuis à une personnalité sans envergure .
Le parti écologiste ne sort pas indemne de cette séquence. Les renoncements qui s'accumulent au fil des semaines alimentent un climat interne délétère. La lente érosion militante initiée après la conclusion de l'accord de mandature avec le parti socialiste ne faiblit pas. Plus le parti s'isole plus ses cadres développent un discours difficile à suivre. S’il est assumé, l’exercice de la participation gouvernementale en plein glissement libéral du pouvoir socialiste passe mal. « C’est une ligne complexe à tenir : ni parti radical de gauche, ni Front de gauche. Loyauté, mais pas soumission. Une muselière pour les ministres, mais pas pour les autres, au Parlement ou au parti. Cela demande beaucoup de solidarité entre nous. Dès que ça déborde, ça devient vite le bordel », admet David Cormand, en référence aux expressions de Jean-Vincent Placé ou Noël Mamère, défrayant récemment la chronique médiatique, en s’interrogeant sur la pertinence de rester au gouvernement.
La palme de la casuistique ministérialiste revient cependant à Pascal Canfin : " Nous avons fait le choix d’une participation exigeante au gouvernement. C’est notre stratégie d’être dans le match, sur le terrain, et non dans les tribunes à compter les points. Si on ne mène pas la bataille, on est sûr de la perdre. Ce qui ne veut pas dire qu’on soit sûr de la gagner quand on la mène. Mais notre participation est exigeante. Exigeante par rapport à l’écologie et exigeante par rapport aux propositions même du président de la République. " Force est de reconnaître que le parti écologiste a franchi un pas de plus sur la voie de la normalisation !
Le problème qui se pose aujourd'hui est de comprendre comment EELV en est arrivé là . Beaucoup y voient un glissement global du Parti qui s'est notabilisé depuis vingt ans . C'est un fait, mais le mouvement écologiste n'en serait pas là sans l'action délibérée depuis dix ans d'une génération de cadres dont Cécile Duflot est l'incarnation la plus caricaturale.
Elle qui se présente comme issue de « la gauche » du Parti a construit toute sa carrière sur une entente avec le courant voynétiste et les autres sensibilités « réalistes » pour gravir tous les échelons du pouvoir. Elle a utilisé tout son talent pour rester au pouvoir 6 années durant dans un mouvement qui s’est fondé sur le refus du cumul des mandats et le refus de la personnalisation du pouvoir. Sans se soucier des valeurs et de l'héritage du mouvement écologiste, Cécile Duflot a tout fait pour renforcer le positionnement institutionnel du Parti écologiste. Ainsi a-t-elle promu envers et contre tout le principe d'une alliance exclusive avec le parti socialiste, sans jamais se soucier des conséquences à long terme de cette stratégie ni même de son impact dans les milieux écologistes.
La période Duflot est finalement celle du grand dépoussiérage militant, théorique et politique. A l’issue du succès des européennes de 2009, elle a pu au moyen d’un renouvellement générationnel constituer une « machine de guerre » qui lui permit d’impressionner l’opinion publique et incidemment le parti socialiste. La « vieille garde écologiste » séduite par les succès de la secrétaire nationale ne s’y est jamais opposée. Elle a même aidé tant qu’elle a pu la secrétaire nationale reconnaissant en elle le " leader incontesté " du parti écologiste. Cécile Duflot ne leur a rien rendu… Elle n’aura retenu que l’orientation définie par les quinquas du parti. Au reste, pour les méthodes, elle a réalisé un aggiornamento complet, liquidant les anciens statuts de Verts trop contraignants aux yeux des « nouveaux écologistes » avides de responsabilités et de prébendes.
Si EELV dispose du groupe parlementaire tant attendu à l’Assemblée nationale, l'influence politique revendiquée n'est pas au rendez-vous. Les promesses de Cécile Duflot ne sont pas advenues, et les écologistes restent sous la coupe d’un président qui tient à gouverner sans partage.
Personne aujourd’hui ne saurait dire comment la situation va évoluer. Europe écologie devenu un parti d’élus ne dispose plus guère d’influence en dehors du champ institutionnel. Au Front de Gauche la situation n’est guère plus favorable, le pôle écologiste buttant sur la force d’un Parti communiste revigoré. Des groupes autonomes naissent un peu partout mais pâtissent de leur isolement.
« Ce n'est donc pas l'écologie qui bat de l'aile, nous dit Dominique Simonnet. Mais ceux qui y ont fait leur nid comme des coucous. L'écologie, appellation fourre-tout, désigne en réalité une myriade de groupes, mouvements et associations engagés pour une planète vivante et vivable, pour le développement des énergies renouvelables, la préservation des espaces naturels, la mer, l'air pur, le climat, les oiseaux, les baleines, les requins, les hippocampes et que sais-je encore... Cette écologie-là, qui se désespère de se voir sans cesse assimilée aux injonctions des petits commissaires verts, s'exerce dans la société civile. Elle peut certes peser dans des instances locales, régionales - et bien sûr internationales - pour pousser les dossiers de l'environnement, mais elle ne se situe pas dans le jeu politicien. Telle n'est pas sa nature. L'écologie est culturelle, sociale, philosophique peut-être, voire poétique. C'est une pratique, un regard porté sur le monde. Ce n'est pas une politique. »
Tout est dit. Ce qui compte c’est cette société civile écologiste délaissée par EELV depuis l’automne 2011 Puisque l’assomption institutionnelle a montré ses limites, l’urgence est de renouer avec le terrain.
Conformément à ce qui fut écrit dans le Manifeste pour une société écologique, Europe écologie a vocation à créer les conditions d’un rassemblement du mouvement écologiste. Un rassemblement ou plutôt un réseau, dont les racines seraient dans des lieux de création, de résistance, d’invention. Une authentique fédération qui reconnaisse l’autonomie de chacun et ne mette en commun que ce qui est librement consenti par tous. Plutôt que de se perdre dans un champ institutionnel qui apprend la dépendance et la soumission, les écologistes doivent restaurer des espaces de liberté et d’épanouissement ouverts sur la société et les aspirations de chacun. Reconnaître aujourd’hui que ce qui se passe de plus intéressant dans le champ écologiste germe dans le réseau Colibris comme dans toutes ces expériences de transition qui naissent un peu partout.
Retrouver en quelque sorte le chemin esquissé vers un au-delà de la démocratie représentative et des formes politiques polaires. « Nous n’avons pas à totaliser ce qui ne se totalise que du côté du pouvoir, disaient Deleuze et Foucault, et que nous ne pourrions totaliser de notre côté qu’en restaurant des formes représentatives de centralisme et de hiérarchie. En revanche ce que nous avons à faire, c’est arriver à instaurer des liaisons latérales, tout un système de réseaux, de base populaire. Et c’est ça qui est difficile. » C'est ce à quoi les écologistes sincères et désintéressés doivent aujourd'hui s'employer. Plutôt que s'enferrer dans un participation gouvernementale inutile, il s'agit de retrouver le goût des actions concrètes, simples et utiles, construites avec le plus grand nombre. Les exemples de manquent pas. C'est à chaque fois que les écologistes ont su agir de la sorte qu'ils ont remporté des succès et effectivement influencé la gestion des affaires publiques.
Voilà ce qu’est l’écologie politique, une praxis de la convivialité ouverte sur le réel. Peut-être l’ultime devenir « de gauche » à l’heure de la régression républicaine de tous les appareils politiques issus des deux siècles qui précèdent. Il ne s’agit en aucun cas d’une doctrine et encore moins d’un dogme. L’écologie politique est une disposition du regard sur le monde puisque quand on est écologiste « on perçoit d'abord l'horizon. On perçoit à l'horizon. » Une disposition qui amène à appréhender des problèmes de manière radicalement différente et à proposer des dispositifs qui intègrent chacun plutôt que des solutions que tous sont contraints d’appliquer…
L’écologie politique est à mille lieues de ce qu’ont pu faire Cécille Duflot et ses complices tout au long d'une décennie de militantisme au demeurant sincères. Faut-il encore que les membres d’EELV le comprennent et conçoivent la nécessité de renouer avec l’autonomie même si cela ne garantit pas autant de postes que l’inféodation au Parti socialiste.
Aujourd’hui il est important de penser la possibilité de renouer avec la dynamique d’Europe écologie, expérience la plus conforme aux bases de l’écologie politique, et de l’élargir à toutes les composantes du mouvement écologiste. EELV doit accepter de regarder au-delà de la rue de Solferino et de s’ouvrir sur le réel comme sur les autres.
Autonomie ne signifie pas isolement. EELV n’est pas le seul mouvement écologiste, loin de là. Des écologistes se trouvent dans bien des mouvements et autres organisations, au GANVA comme à Cap 21, au CRILAN comme à Virage énergie, au Front de gauche comme à Europe écologie… Le drame est que tous sont aujourd’hui séparés alors qu’ils mènent chacun une activité commune faisant vivre des gisements d’écologie, des projets et des luttes qui à des degrés divers changent les rapports entre les individus, entre ces individus et la Nature, entre le présent et le futur. Fédérer toutes ces énergies s’impose.
Après les déconvenues de mai et juin 2012, le problème n’est pas de débattre de la couleur de la robe de Cécile Duflot, il est de déterminer comment et avec qui EELV peut peser effectivement sur la politique de l’hyper-majorité socialiste pour insuffler cette révolution écologique tant attendue. Les défis sont suffisamment importants pour que les écologistes n’esquivent pas leur responsabilité.
Il existe un au-delà de l’alliance avec un Parti socialiste omnipotent qui ignore tout au plus l’écologie : l’urgence est de rassembler tous les écologistes dans un grand agencement moléculaire et de mettre en commun un même désir partagé.
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