Une évaluation du coût de l’énergie atomique en France a été publiés par la Cour des comptes début 2012. Une augmentation non négligeable des coûts de production semble inéluctable aux yeux des cette institution. Le rapport souligne aussi les incertitudes sur le prix des démantèlements à venir et sur le stockage des déchets
à long terme.
Les coûts de production du KWh nucléaire doivent augmenter au bas mot de 10 % dans les années à venir, principalement à cause des dépenses liées à la maintenance des installations selon les sages de la Cour des Comptes.
Pour calculer le coût total de la production nucléaire de l’exploitant, la Cour des Comptes à additionner les investissements passés, les charges d’exploitation actuelles ainsi que les coûts futurs de démantèlement ou de charges d’exploitation (gestion des combustibles usés et déchets) :
- 96 milliards d’euros (en euros constants 2010, comme la suite des chiffres avancés) : coût de construction du parc nucléaire. Ce parc ayant une puissance installée de 62 510 MW, soit 62,51 GW, le coût de construction atteint près 1,5 million d’euros au MW. Ce coût de construction augmente au fil du temps en raison de l’exigence croissante des référentiels de sécurité
- 8,95 milliards d’euros : charges d’exploitation en 2010 (hors maintenance) du parc nucléaire français, qui a produit 407,9 TWh. Le personnel d’EDF est le principal poste de ces charges : 2,7 milliards en 2010, soit plus de 30% des charges hors maintenance. Ces charges progressent en raison de la hausse des impôts et taxes (13% des charges en 2010) et des opérations de maintenance plus fréquentes (pas comptabilisées plus haut) ;
Si certaines données financières sont clairement identifiées, « de nombreuses incertitudes » demeurent concernant les investissements futurs. C'est le cas en particulier du coût réel du stockage des déchets à long terme mais aussi du démantèlement que personne ne sait évaluer aujourd'hui. Les coûts de l'amélioration de la sûreté n'ont pas non plus été évalués sérieusement. En l'absence de chiffrage détaillé d'EDF, André-Claude Lacoste, ancien président de l'ASN s'est contenté de critiquer le devis avancé par EDF (environ 10 milliards d'euros)
Au final les incertitudes quant à l'avenir de la filière nucléaire sont importantes. La facture moyenne d'électricité d'un ménage français doit s'alourdir de 50 % d'ici à 2020, selon un rapport du Sénat présenté par Jean Désessard et Ronan Dantec le 18 juillet 2012.... Sous réserve, souligne le texte, d'une législation et de comportements
de consommation inchangés.
Citant des projections de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), ce rapport estime que la facture annuelle d'un ménage type ayant souscrit l'option heures pleines-heures creuses - et a priori équipé d'un chauffage électrique - atteindrait 1 307 euros en 2020 contre 874,5 euros en 2011.
"Se pose aujourd'hui la question d'énormes investissements, on peut parler de 400 milliards d'euros à horizon de vingt ans", a souligné Jean Désessard. sur l'augmentation de 433 euros attendue sur la facture (qui est hors TVA), 28 % viendront de la taxe dite CSPE (contribution au service public de l'électricité, qui inclut notamment les tarifs d'achats subventionnés des énergies renouvelables), 37 % des réseaux électriques et 35 % de la production d'électricité elle-même.
Il ressort des évaluations des sénateurs que les coûts de l'électricité nucléaire française sont encore sous-évalués : en incluant les travaux de maintenance post-Fukushima, la commission les évalue à 54,2 euros par mégawatheure. C'est plus que l'évaluation du rapport de référence publié par la Cour des comptes au début de l'année (49,5 euros) et plus que le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), c'est-à-dire le prix officiel du courant nucléaire, qui est de 42 euros depuis le 1er janvier.
Le rapport, comme celui de la Cour des comptes publié au printemps, relève aussi des "incertitudes" supplémentaires notamment sur le démantèlement, plus les coûts d'assurances pour un accident ou des frais de recherche. Des coûts qui porteraient le total à 75 euros le mégawatheure, même si la Commission s'est refusé à effectuer officiellement cette addition "parce qu'on n'a pas voulu rajouter des incertitudes aux incertitudes".
Mais regardons tout de même cette évaluation plus en détail. Si l'on prend en compte l'élévation du niveau de sûreté exigée après Fukushima (qui portera le prix du MWh à 54,2 € selon la Cour des comptes), les taux d'utilisation des centrales, les coûts de
démantèlement (estimés par la commission d'enquête à 2,46 €/MWh), la gestion des déchets (+0,19 €/MWh), la recherche publique (+7,11 €/MWh), les coûts publics pour la sécurité, la sûreté, la transparence (+0,56 €/MWh), l'assurance (+9,83 €/MWh), le taux d'actualisation qui passe de 5 % à 4 % (+0,40 €/MWh)… Si l'on fait l'addition de tous ces coûts, exercice auquel la commission d'enquête ne s'est pas risquée au vu des divergences de ses membres, le coût du mégawatt heure nucléaire passe à… 75 € ! A cette somme, doivent être ajoutés le coût du stockage des matières radioactives et les externalités pour l'environnement, la santé humaine, qui ne sont pas chiffrables aujourd'hui.
L'annonce de la hausse du coût de l'EPR de Flamanville à hauteur de 8 Mds € confirme ces évaluations. Le coût de l'énergie nucléaire est vouée à une augmentation inéluctable.
A la différence des autres industries, le nucléaire n'a jamais été capable de maitrises ses couts comme le donne à voir ce graphique ci-dessus. De paliers en paliers, le coût des réacteurs n'a cessé d'augmenter comme l'explique l'analyse réalisée par Arnulf Grubler (http://www.global-chance.org/IMG/pdf/GC29p102-109.pdf)
La hausse de 2.5 Mds € du cout officiel de l'EPR n’est pas une surprise. Récemment, EDF a estimé à 17 milliards d’euros le prix des deux centrales proposées au Royaume-Uni, ce qui correspond au 8,5 milliards d’euros de Flamanville. L'EPR réacteur, qui devait fournir une électricité à 46 euros par MWh à l'origine, avait déjà vu ce tarif être augmenté à 70 à 90 euros lorsque la facture du chantier avait été doublée à 6 milliards d'euros en 2009.
Aujourd'hui, avec une construction chiffrée à 8,5 milliards d'euros, on se situe plutôt dans une fourchette de 100 à 120 euros le MWh et ce chiffre pourrait encore augmenter. Si ces coûts ne sont pas compensés par les autres centrales déjà amorties, ou par la construction d'autres EPR, ce qui est pour l'instant très peu probable, EDF pourrait alors être obligée d'augmenter les tarifs de l'électricité afin d'éviter de vendre à perte – alors qu'elle cède une partie de son électricité à ses rivaux à 42 euros le MWh.
L'EPR est un véritable gouffre financier
L'augmentation est imputée par EDF à l'inflation à hauteur de 500 millions. Les 2 milliards restants correspondent à l'augmentation du coût du chantier. " Ce qui est en jeu, c'est la méconnaissance du coût réel initial, et non la dérive de ce coût ", assure Hervé Machenaud, le directeur en charge de la production et de l'ingénierie, dans les colonnes du Monde.
Le nouveau chiffrage pose en tout état de cause la question de la compétitivité des nouveaux réacteurs nucléaires. D'autant que la facture de l'EPR que Areva construit simultanément en Finlande a, elle aussi, sérieusement dérapé. Sur les quatre EPR en construction dans le monde, seuls les deux de Taishan, en Chine, paraissent respecter les délais annoncés.
Non seulement son chantier vedette va coûter beaucoup plus que prévu. Mais EDF se trouve privé se son principal partenaire industriel à Flamanville. La compagnie d'électricité italienne Enel a en effet annoncé son départ alors que sa participation dans l'EPR de Flamanville est de 12,5 %...
La facture devrait donc encore augmenter d'ici à la date annoncée de mise en service (2016). L'Autorité de sûreté nucléaire continue en effet d'adresser des demandes à EDF, pour améliorer ou réparer des éléments de la construction. Surtout, le prix du
chantier a presque triplé par rapport à l'estimation initiale (1.8 milliards d'euros en 1997) alors qu'EDF n'a pas encore entamé la partie sensible, à savoir les installations nucléaires. On devrait donc arrêter les frais aujourd'hui.
Mais surtout, l'ensemble des coûts du nucléaire ne sont pas correctement pris en compte dans le financement de la filière. La recherche, en amont et en aval de la construction, n'est pas intégrée dans le prix du kilowattheure mais dans le budget de l'Etat. De la même façon, la question du démantèlement des centrales et du stockage des déchets n'est pas prise en compte. En janvier, la Cour des comptes a respectivement chiffré ces dépenses à 18,4 milliards et 28,4 milliards d'euros, tout en précisant la probabilité d'une augmentation future de ces charges. Ce sont des dettes pour les générations futures.
Enfin, il reste la question des assurances, qui se pose à partir du moment où l'on admet qu'un accident nucléaire est possible. La Cour des comptes a chiffré entre 70 à 100 milliards d'euros le coût d'un accident de l'ordre de celui de Three Miles Island aux Etats-Unis, classé au niveau 5, et entre 500 et 1 000 milliards d'euros celui d'un accident du niveau de Tchernobyl et Fukushima, classés au niveau 7. C'est colossal, car environ trois fois plus important que les coûts dépensés par l'ensemble de la filière
électronucléaire entre 1945 et 2000 (188 milliards d'euros). Si l'Etat constituait des provisions pour s'assurer contre un accident nucléaire important, les coûts du nucléaire ne seraient plus supportables.
Désormais, les énergies renouvelables sont une alternative économique crédible à pratiquement tous les moyens conventionnels de production d'énergie électrique. Sur les énergies fossiles, les prix vont de 65 à 75 euros le MWh, et sont appelés à augmenter; pour l’EPR, ils étaient de 70 à 90 euros par MWh à l'époque où la centrale n'était estimée qu'à 6 milliards d’euros. Partout, on converge vers des prix de 100 euros par MWh.
En comparaison, l'éolien a aujourd’hui un coût de production de 70 euros par MWh, et un tarif de vente de 84 euros, l’un et l’autre appelés à baisser. Le photovoltaïque est encore cher, entre 100 et 120 euros, mais se situe lui aussi sur une courbe descendante. On approche du point de croisement des courbes.
En tout cas une chose est sûre : faire le choix de la transition aura un impact économique bien supérieure au nucléaire. Cela permettra de revitaliser les territoires. Les gens en ont assez de dépendre des grandes structures lointaines, technocratiques, centralisées. Ils veulent un minimum d’autonomie énergétique. Il faut valoriser les initiatives locales de ce type. Décentraliser la production via les énergies renouvelables créera aussi des emplois, car il y aura un fort besoin de main-d’œuvre dans l’exploitation et la maintenance.
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