Le SRCAE de Haute-Normandie est enfin consultable sur le site de la DREAL de Seine-Maritime :
Nous connaissions depuis quelques mois déjà le diagnostique établi par les services de l’Etat avec l’appuis du cabinet d’étude Energie demain dont la réputation n’est plus à faire.
Depuis ce week-end nous disposons en fin du second volume, document prospectif d’orientation.
Alors que d’autres régions ont eu l’audace de se saisir de la préparation des schémas régionaux climat-air-énergie pour envisager un avenir au delà du pétrole et du nucléaire, la région Haute-Normandie se complet dans un conservatisme énergétique qui ne garantit nullement que les engagements européens et internationaux de la France soient tenus.
Si le mot nucléaire n’apparait jamais dans ce document, il n’en reste pas moins que les “énergies décarbonnées” sont à l’honneur. Or chacun sait que cette expression inventée dans les années 1990 par les services de la communication d’AREVA désigne la production nucléaire d’électricité... puisque celle ci ne produirait pas de gaz à effet de serre (idée remise en cause par l’étude complémentaire demandée par France Nature environnement à l’occasion du
débat public sur le projet Penly III : http://www.debatpublic-penly3.org/docs/etudes-complementaires/rapport-energies-demain.pdf)
plusieurs commentaires peuvent être dés maintenant formulés :
un scénario tendanciel, conservateur
1. le SRCAE reste sous l’influence d’une conception ancienne de l’énergie selon laquelle l’abondance d’énergie est une condition de la croissance économique. L’histoire prouve que cette conception est non seulement fausse mais mensongère. A en croire les thuriféraires de l’atome nous devions consommer aujourd’hui plus du double d’électricité... or chacun sait que depuis la grave crise structurelle des années 1970 s’est opérée un décrochage entre les courbes du PIB et celles de l’intensité énergétique. Si page 5 sont rappelés les engagements internationaux de la France, page 7, la baisse global des consommations envisagée ici n’est plus que de 10 % à l’horizon 2020 et de 13% à l’horizon 2050. Il s’agit tout au plus d’un accompagnement des tendances actuelles observées (http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/1938/966/bilan-energetique-france-2011.html).
Rien à voir avec ce que le Danemark ou l’Allemagne ont déjà réussi à faire
depuis une décennie (http://www.global-chance.org/spip.php?article50)
depuis une décennie (http://www.global-chance.org/spip.php?article50)
2. si l’on regarde les choses plus en détail, page 8, il apparait que les baisses de consommation les plus intéressantes se situent dans les secteurs où elles sont obligatoires ou inéluctables. Les – 22 % annoncés pour le “résidentiel” s’explique aisément de l’aveu même des auteurs par l’application de la règlementation thermique française et des directives européennes. En revanche dans le domaine de l’industrie, le SRCAE HN peut annoncer sans scrupule une hausse de la consommation d’énergie à l’horizon 2050 que les auteurs sont bien en peine de justifier.
On est en droit de s’interroger sur la timidité d’une telle prospective incapable de percevoir les gaspillages qui existent aujourd’hui et les considérables gisements de décroissance qui existent dans la région. A la lumière des expériences d’écologie industrielle aujourd’hui en cours ( http://www.ecologieindustrielleestuaire.fr/asso.php),
il convient de reconnaitre que les prospectives conduites par les pouvoirs publics sont en deçà de ce que peuvent et veulent faire les acteurs économiques du territoire. Ne sommes nous pas là en face d’un cas flagrant d’un défaut de gouvernance de la part d’un monde administratif et politique coupé des expériences concrètes qui se font dans la société civile ?
il convient de reconnaitre que les prospectives conduites par les pouvoirs publics sont en deçà de ce que peuvent et veulent faire les acteurs économiques du territoire. Ne sommes nous pas là en face d’un cas flagrant d’un défaut de gouvernance de la part d’un monde administratif et politique coupé des expériences concrètes qui se font dans la société civile ?
un scénario SRCAE nucléocentré
3. il est surprenant de noter que la présentation du scénario “SRCAE” commence par un aveu d’échec. A en croire le document, il n’a pas été possible d’arriver en Haute-Normandie au seuil règlementaire de 23% d’énergies renouvelables (ENR) dans la production d’énergie en 2020 mais seulement à 16 %.
Ce chiffrage est d’autant plus étonnant que ce ne sont pas moins de 1 400 MWe qui devraient sortir de mer d’ici la fin de la décennie à Fécamp et au Tréport... soit plus que la production d’un des 6 réacteurs nucléaires de la région. Les justifications avancées par les auteurs du document, page 10, sont grotesques. Si elles déplorent le “retard” haut-normand et la consommation des raffineries rien n’est dit sur la production nucléaire. Avec Paluel et Penly ce ne sont pas moins de 10 % des Kwh nucléaires qui sont produits ici et exportés.
4. une véritable politique de transition qui pense la production d’énergie au regard des consommations effectives des consommateurs locaux ne saurait ignorer le poids du nucléaire ici et sa nécessaire réduction.
Ne serait que dans le cadre des engagements de François Hollande, qui dit vouloir ramener la part du nucléaire de 75% à 50% de la production d’électricité en France d’ici 2030, il s’agirait dans notre région de penser l’arrêt des réacteurs les plus anciens et les plus dangereux afin de permettre une transformation réelle des modes de consommation et de production. Les réacteurs de la centrale de Paluel apparaissent aujourd’hui comme nettement défaillants, peu surs et de plus en plus couteux. La fermeture de deux réacteurs qui auront dépassé les 30 années de fonctionnement en 2015 est la condition sine qua non pour qu’une réelle transition s’opère dans la région. Cette objectif n’est en rien fantaisiste : si on considère que Fécamp et le Tréport compenseront l’arrêt d’un d’entre eux, il manquerait donc au final un sixième de la production actuelle... ce qui correspond peu ou proue aux attentes en terme de baisse de la consommation !
5. mais revenons en à la formulation même du SRCAE... la baisse de 20 % présentée page 10 est paradoxale. Si le transport, l’agriculture et le résidentiel voient selon ce scénario leurs consommations reculer nettement, ce n’est pas le cas des deux principaux secteurs d’activités économiques le tertiaire et l’industrie. La consommation du tertiaire ne varierait quasiment pas avec un recul des plus modestes de l’ordre de 7 % (on st là dans la marge d’erreur). Quant à l’industrie si sa consommation finale recule, c’est principalement en raison de l’effort attendu du secteur du raffinage... la figure 4 donne à voir clairement un plateau des consommation après 2020. Une telle modélisation n’est pas sérieuse et ignore les fortes capacités d’adaptation des industriels dans un contexte de hausse inéluctable des prix de l’énergie (http://www.worldenergyoutlook.org/).
Chacun reconnait que l’efficacité énergétique d’un procès de production sera déterminante dans l’avenir. Il serait bon que les décideurs hauts-normands s’en rendent compte alors que la fermeture de Petroplus montre clairement que les établissements les moins performants sont promis à la fermeture. Toujours est il que l’industrie et le tertiaire possèdent de très importante marge de diminution de leurs consommations d’énergie.
des énergies renouvelables réduites à la portion congrue
6. somme toute la garantie d’une offre abondante d’électricité de surcroit nucléaire ne garantit aucunement la pérennisation d’emplois industriels en Haute-Normandie. Bien au contraire la part laissée aux ENR laisse à craindre un effondrement industriel de la région dans un contexte de déplétion pétrolière et de transformation profonde du secteur automobile. Le SRCAE ne reconnait absolument pas la dimension industrialisant de la transition énergétique. La chapitre 3.5 (pages 30-33) ignore la possibilité d’une reconversion des filières déjà en difficulté aujourd’hui vers la production d’équipements et de matériels mis en œuvre par les industries des énergies renouvelables. Page 31 il n’est question que de chimie verte, d’éco-matériaux pour le BTP et de véhicules du futur. Rien n’est dit sur la nécessité de favoriser le développement local d’industries qui conçoivent, construisent et installent des énergies renouvelables. Des exemples de transition existent dans toute la France et ailleurs en Europe... La Haute-Normandie ne saurait se tenir à l’écart de cette tendance mondiale à l’heure où AREVA wind a décidé de venir s’installer au Havre.
7. Le chapitre 3.6 (p 34-39) détaille l’objectif modeste de développement des ENR en Haute-Normandie d’ici 2020 puis 2050. L’objectif proclamé pour 2020 est de 13 515 GWh/an, “soit une multiplication par 3 de la production attendue en 2013”. Quand on part de très bas, il n’est pas difficile d’annoncer des taux de croissance élevés. Le tableau page 34 présente une vision synthétique de la déclinaison de cet objectif global.
7.1 La manière dont est abordée la question du bois énergie mérite qu’on s’y arrête : si le bois énergie individuel est capé sévèrement à 2089 GWh/an, le bois énergie collectif et industriel pourrait doubler d’ici 2020 à en croire le SRCAE. Voilà une bien curieuse manière de trancher le débat sur le niveau de la ressource en bois énergie et son partage. Le SRCAE préfère orienter une ressource limitée et fragile vers des macros équipements exploités par des grands groupes plutôt que de soutenir des initiatives individuelles, citoyennes et responsables. Le tableau 5 page 35 donne à voir que la demande envisagé dépasse largement les évaluations des potentiels de mobilisation de la biomasse régionale (400 000 t en 2020 contre une disponible de quelques 354 000 t/an). Finalement ce n’est pas tant la transition énergétique qui motive le SRCAE mais la structuration de la filière bois par la création de contrats pérennes. Nous sommes là bien loin de la logique participative, autonome et décentralisée promue par les écologistes. L’enjeu est de développer un nouveau secteur agro-énergétique plutôt qu’une démarche de transition qui part des besoins réels de services énergétiques comme le suggère le scénario Négawatt.
7.2 L’objectif éolien terrestre peut paraitre impressionnant puisqu’il est question de passer de 72 machines en fonctionnement à près de 250 en 2020, cad de 700 GWh/an à 2 000. La manière dont cet objectif a été évalué laisse songeur : tout porte à croire que la régle à calcul ait tenu lieu de prospective. La région entend ainsi prendre sa part dans l’effort national sans envisager le moins du monde la réalité de son potentiel, les besoins des collectivités et le potentiel industriel. Tout porte à croire que ce n’est pas ainsi que la Haute-Normandie pourra combler son retard sur des régions nettement plus dynamiques et que la France pourra se prévaloir d’un parc éolien qui garantisse des approvisionnement locaux, surs et à bon marché (cet été, EDF a du faire face à la concurrence des éoliennes d’Europe du Nord : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/13/l-horizon-s-assombrit-pour-edf_1790019_3234.html).
7.3 Quant à l’éolien maritime, si l’on ne peut que se féliciter des projets en manche, force est de reconnaitre que la Normandie et la France reste encore loin du compte... http://www.enerzine.com/3/14500+france---il-manque-3-000-mw-deolien-offshore-pour-2020+.html
A une échelle plus locale, on voit clairement que ces deux projets représentent l’essentiel de l’effort en matière d’énergie renouvelable éolienne avec 4624 GWh/an sur 8738. On est donc très loin d’un modèle décentralisé, participatif et solidaire. Le SRCAE de Haute-Normandie reste complètement fermé aux revendication écologistes d’une transition énergétique mise en œuvre par les usagers et les territoires. Ce document reproduit les vieilles tendances centralisatrices en laissant les grands groupes qui n’ont pas su jusque là apporter une prospérité durable à notre région mettre en œuvre la transformation de la production d’électricité.
Un SRCAE décevant...
Au final, il n’y a pas de quoi pavoiser. La Haute-Normandie non seulement publie tardivement son SRCAE mais se distingue par la faiblesse des propositions, une absence claire de chiffrage des orientations et finalement à un catalogue de propositions modestes voire inconsistantes.
Nous attentions plus d’une démarche qui devait associer largement la société civile durant plusieurs mois pour envisager un compromis entre urgence climatique, justice sociale et nécessité économique. Manifestement cette dernière l’a emporté sans que les services de l’Etat et le pouvoir politique régional soient en mesure de proposer des orientations claires, fortes et efficientes.
Ce SRCAE valide le statu quo régional imposé lors de la création de la filière énergie (http://www.ape.hautenormandie.fr/APE/La-filiere-Energies-en-Haute-Normandie).
Cette orientation est un complet déni de réalité alors que Pétroplus est promis à une fin inéluctable, que les parc nucléaire est de plus en plus défaillant et que la précarité énergétique explose.
Cela ne veut pas dire pour autant que la transition ne se fera pas en Haute-Normandie. De plus en plus de projets de transition voient le jour. Des communes telle Longueville sur Scie ou Malaunay revoient radicalement leur politique énergétique. Des industriels revoient leur modèle énergétique comme par exemple SAIPOL à Grand-Couronne. Des associations et des collectifs qui veulent mettre en œuvre par eux mêmes la transition se constituent et agissent.
Somme toute le principal intérêt de ce document est de montrer le décalage, pour ne pas dire le fossé, qui existe entre quelques décideurs et la réalité du terrain, les dynamiques effectives qui sont à l’œuvre ici et maintenant.
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